Le documentaire La selva negra (The Modern Jungle) de Charles Fairbanks et Saul Kak, une coproduction Mexique et États-Unis, raconte la très dure vie des habitants de la jungle au Mexique. Juan vit seul dans le dépouillement le plus total. Il doit couper son bois, chercher quotidiennement sa nourriture et faire face aux traces que ses 65 ans ont laissées dans et sur son corps.
Les premières images montrent Carmen Echavarria Gomez et Juan Juarez Rodriguez dans une salle de cinéma, seuls pour visionner le film dont ils sont les sujets. Nous sommes au Chiapas, Mexique.
Carmen vit aussi seule, son mari a été abattu il y a 46 ans et elle doit aussi accomplir tous les travaux intérieurs et extérieurs.
Juan a une hernie sévère à l’estomac. Il se rend à la ville pour une échographie qui lui confirme son mal, il doit être opéré. Il n’a pas l’argent pour l’opération. Le documentaire pour lequel il est le sujet central lui rapporte quelques pesos, mais pas assez. Il se fera avoir en achetant plutôt des « produits miracles » que de plus jeunes Mexicains lui vendent sans scrupule. Juan se dit aussi chaman.
On voit, dans ce documentaire, une situation cinématographique assez singulière : l’autochtone sur qui on tourne le film s’adresse souvent à la caméra tenue par Charles Fairbanks pour essayer de négocier plus de pesos pour ses besoins pressants de guérir ou, du moins, soulager sa hernie. On entend même, dans une scène, Fairbanks derrière la caméra lui déconseiller d’acheter ces produits que lui offrent les « représentants ». Ces derniers ne se gênent pas pour inventer des témoignages que des médecins utilisent les produits avec un grand succès.
On se croirait en train de visionner un reportage de La course autour du monde, dont les moins jeunes se rappelleront sûrement. Les ingrédients sont tous présents : un autochtone intéressant avec un sujet captivant, sa maladie. De très belles images de la jungle, les bruits, la verdure et les ruisseaux, tout y est pour nous faire sentir l’environnement luxuriant et pur.
Juan visite Carmen de temps à autre. Leurs tâches quotidiennes ne leur laissent pas beaucoup de temps libres. Ils s’encouragent l’un l’autre à continuer leur survie, esseulés.
La vie en milieu sauvage est aussi synonyme d’absence d’instruction et de culture générale. Et donc, les croyances religieuses ou chamaniques prennent une place inespérée chez ces gens naïfs. On y voit un « sorcier » tenter de guérir un bébé avec des incantations, en faisant appel à Dieu et aux croyances locales.
La vie est dure, mais on n’entend jamais une plainte, un désir de vivre en ville ou même un souvenir nostalgique. Carmen charrie un lourd fardeau de bois sur son dos, mais elle prend le temps de cueillir des fleurs en chemin. Elle a aussi, comme les bouddhistes, un petit autel où elle dépose des offrandes quotidiennes : des pieds de poulet, des os, des fleurs…
Leur visage ne ment pas; tous les deux ont leur vie rude imprimée en une multitude de rides brûlées par le soleil et le dur labeur.
Le film est beau à regarder même si, à un moment, l’image est noire, la caméra est brisée, on continue de suivre avec le son. Je vous dis : « La course autour du monde… »
Juan dépensera finalement 463 pesos (32,47 $) pour un produit à base d’aloès et un appel aux anges… Il va continuer longtemps à dormir à même le sol avec son attachante naïveté si les prières lui prêtent longue vie…
Beau mélange de travail parfois amateur, mais toujours dans le ton.
Note : 8/10
La selva negra est présenté au Festival Présence autochtone le 13 août 2018.
* En présence du réalisateur
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