« Les enfants ont peur de moi. Les chats et les chiens aussi… »
Sur le plateau d’un film d’horreur aux prétentions artistiques, réalisé aux États-Unis par un grand auteur européen, la coquette actrice hollywoodienne Mabel (Jess Weixler) avoue être au-delà de sa zone de confort. Elle tient le rôle d’une femme aveugle et le film qu’elle tourne — déjà soupçonné par les médias d’être de mauvais goût — traite explicitement de difformité. La production a même engagé plusieurs acteurs handicapés, dont Rosenthal (Adam Pearson), un comédien soucieux, doté d’une déformation faciale majeure. Mabel peine à s’identifier à lui, et tandis que leur personnage se rapproche devant la caméra, que les acteurs font de même derrière celle-ci, et que l’équipe de tournage marche sur les œufs de la rectitude politique, d’étranges rumeurs commencent à circuler sur l’hôpital abandonné qui prête son décor au film. Les limites entre la réalité et la fiction, la représentation juste et le cinéma d’exploitation, deviennent excessivement poreuses…
En commençant le visionnement de Chained for Life d’Aaron Schimberg, je m’attendais à un film d’horreur cheap. Je ne le dis pas négativement. J’en avais envie, pour être honnête. Mais finalement, j’ai eu droit à un film qui se rapprochait plus du drame humain. Et vous savez quoi? J’ai vraiment adoré!
Lorsque la belle Mabel rencontre la bête Rosenthal, nous n’avons pas droit à la réaction anticipée. Non, la jeune femme ne hurle pas, ne montre pas de dégoût et ne se sauve pas. Non. Plutôt, elle va à sa rencontre et commence à parler avec lui. Et c’est là qu’on découvre ce qu’est la vraie horreur de la vie.
Quand elle lui demande s’il a des enfants, il lui répond que non. Et que c’est probablement mieux comme ça puisque les enfants ont peur de lui. Tout comme les chats et les chiens d’ailleurs. Pour moi, ça, c’est de l’horreur. Effrayer les adultes ou les masses, c’est une chose. Mais de révulser les enfants, ça doit être horrible. Mais malgré cette réplique, le personnage ne semble pas s’apitoyer. Non. Il semble assez bien vivre avec son handicap.
Chained for Life est basé sur le principe du film dans le film, un peu comme 8½ ou encore Looking for Oum Kulthum. Et je dois dire que dans le cas présent, c’est très bien intégré.
On se promène constamment entre l’un et l’autre sans vraiment nous en avertir. Et, à l’occasion, le réalisateur y intègre même des séquences de rêve. Celles-ci ne sont pas introduites clairement non plus, mais, à la fin, on nous laisse savoir plus clairement que cette séquence ne fait partie d’aucuns des deux « films ».
Les passages d’un type de séquence à l’autre sont juste assez déstabilisants pour que ce soit plaisant.
Avec Chained for Life, le réalisateur nous offre une comédie noire, dans laquelle il démontre habilement les notions de « différence » habituellement véhiculées de façon clichée par le cinéma commercial. Il offre ainsi une exploration habile, de même qu’une réfutation fouillée, de la dynamique de « freak show », qui accompagne trop souvent les films portant sur le handicap. Plutôt que de présenter son personnage comme un freak (un peu comme The Elephant Man) il le présente comme un homme ordinaire, avec ses problèmes, ses forces et ses faiblesses.
C’est tout un pan du cinéma fantastique qui est remis en question, dans un film qui pousse à la réflexion, surtout dans cette ère où l’on parle de plus en plus d’accepter les différences sans jugement.
Note : 8.5/10
Chained for Life est présenté à Fantasia les 18 et 24 juillet 2018.
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