« I was not the Gainsville serial killer! »
[Je n’étais pas le tueur en série de Gainsville!]
Les fanzines faits à la main que l’adolescent Mike Diana a pondus dans les années 1980 étaient une démonstration de dépravation douloureuse pour les yeux, de toute évidence conçus pour contrarier les constipés de la droite religieuse, des médias et du système juridique de sa banlieue floridienne. Et il n’a pas manqué son coup. Bien que son art brut scabreux de fables décrivant violences sexuelles et profanations corporelles n’était vendu qu’à quelques centaines d’admirateurs, des flics paranoïaques et des procureurs opportunistes ont considéré son travail comme étant une menace à la société (ou du moins, l’ont cyniquement présenté comme tel). À la suite d’un dégueulasse procès en cour, à l’âge de 24 ans, Diana devint le premier artiste américain à être condamné pour obscénité. La vraie transgression, cependant, fut la parodie de justice qu’il a dû subir.
Avec Boiled Angels: The Trial of Mike Diana, Frank Henenlotter nous présente un des procès importants en lien avec la censure et la libre expression aux États-Unis. Le réalisateur présente des témoignages de plusieurs acteurs impliqués dans cette affaire : les avocats de la poursuite, l’avocat de la défense, des activistes, des spécialistes en culture underground et de la culture des BD, la famille de l’accusé, Mike Diana, des journalistes et des figures de proue du cinéma d’horreur.
Au moment de l’arrestation, l’œuvre de Mike Diana était petite. Très petite, même. Il s’agissait principalement de 6 numéros d’un « comic zine » appelé Boiled Angels. Fondamentalement, une petite BD faite à la main, imprimée sur des feuilles régulières et distribuée par l’auteur à un public adulte et averti.
Et pourquoi est-ce qu’il a été arrêté? On récapitule… On l’arrêtât à cause de la publication d’un « comic zine » fait à la main, intitulé Boiled Angels, plein d’art graphique de confrontation, scandaleux, souvent hilarant, plein de sexe et de violence, fait dans le but de choquer et de déranger. Mais c’était un zine réservé aux adultes. Avec seulement 300 copies, la publication de Diana n’était jamais disponible dans les supports de bande dessinée ou dans les magasins. Et seulement une copie – oui, oui, une – a été vendue dans la ville où vivait Diana. Et ce client était un flic infiltré!
Oui, un flic infiltré pour attraper un dangereux garçon de 23 ans qui dessine des BD dans le sous-sol chez ses parents. Ses dessins n’avaient rien d’innocent, en effet. La violence souvent sexuelle était profondément choquante. Mais comme les gens qui pouvaient l’acheter devaient être des initiés, il n’y avait aucun « risque » pour la société.
Les autorités de Floride ont été tellement épouvantées par l’art de Diana qu’elles ont d’abord pensé qu’il était un tueur en série! Le fameux tueur de Gainsville. Après avoir déterminé qu’il ne l’était pas, ils ont néanmoins décidé de le traduire en justice selon trois chefs d’accusation d’obscénité. Puis, étonnamment, l’accusation a fait venir un psychologue qui a témoigné que les bandes dessinées de Mike pouvaient en réalité créer des tueurs en série! Tout ça pour des BD imprimées à moins de 300 exemplaires.
L’artiste a été reconnu coupable. Bien qu’il n’ait purgé que quatre jours de prison plutôt que les trois ans demandés par l’accusation, il fut mis en probation pendant trois ans avec une liste de règlements des plus ridicules qui lui interdisaient de dessiner tout ce qui pourrait être considéré comme obscène, même pour son propre plaisir dans l’intimité de sa propre maison! Et les autorités ont été autorisées à mener des recherches sans mandat pour voir si cela était appliqué. Il ne pouvait pas s’approcher à moins de 10 pieds d’un enfant et il devait occuper un emploi à temps plein.
Mais qu’en est-il de la liberté d’expression? Cette chose qui représente le premier amendement de la constitution américaine…
Apparemment, lorsqu’une œuvre est considérée obscène il en revient à savoir si la création a une valeur politique ou artistique. Si l’on répond non à ces deux critères, alors la liberté d’expression ne s’applique pas. Et il semble que ce fut le cas pour le jeune homme. Pourtant, ses dessins étaient clairement politiques. Et qu’on aime ou pas, ils avaient une valeur artistique. Plusieurs experts ont témoigné en ce sens. Un seul a dit le contraire et, apparemment, c’est celui que le juge a décidé de mettre en évidence pour les jurys.
Avec la narration de l’icône punk rock Jello Biafra (un habitué des procès pour obscénité), l’enquête à la fois enrageante et souvent rigolote de Henenlotter prend tout son sens et fait de Boiled Angels: The Trial of Mike Diana un film à voir.
Et malheureusement, avec l’administration Trump, ce genre de procès douteux pourrait potentiellement se voir à nouveau.
Financé sur Kickstarter, Boiled Angels nous amène à réfléchir à l’absurdité du processus judiciaire. Mais, surtout, nous permet de ne pas oublier ce qui s’est déjà produit afin d’éviter que de telles choses se produisent.
Note : 8.5/10
Boiled Angels: The Trial of Mike Diana est présenté à Fantasia les 14 et 18 juillet 2018.
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