En tant que collaboratrice autrichienne, j’ai eu le plaisir de regarder 5 films d’origine germanophone présentés à la 4e édition du festival de Longue vue sur le court qui se déroule à Montréal du 30 mai au 3 juin. Des films de 3 à 20 minutes qui sont aussi divers qu’on puisse se l’imaginer : la sélection passe de films d’animation à des films réalistes, de films humoristiques et caricaturaux à des films plus sobres, de vidéoclips « simples » à de véritables « mini »-longs-métrages.
Tous touchent de manière plus ou moins ouverte des enjeux de nos jours – nos conflits géopolitiques dans Watu Wote (le terrorisme), nos peurs dans Eyes Everywhere (l’homme transparent) et Kleptomami (la maternité) et nos désirs les plus intimes dans Our Wonderful Nature (la gloutonnerie) et Nicole’s Cage (le sadomasochisme).
5 films avec presque aucune attente au préalable – et je peux vous jurer : c’est ainsi qu’on se divertit le mieux. Qu’est-ce que j’ai ri dans Our Wonderful Nature et Kleptomami! Comme j’ai compati aux côtés de la jeune chrétienne dans Watu Wote! Et à quel point ces quelques minutes dans Nicole’s Cage et Eyes Everywhere m’ont poussée à penser à la manière dont on s’expose à l’autre ou qu’on est exposé devant lui.
L’interaction avec l’autre, l’alternance entre un « prendre » et un « donner », entre un « avaler » et un « vomir », entre un « inclure » et un « exclure », tel est le mot-clé qui unit tous ces petits cadeaux visuels. Bref, pour nous donner un air plus intello avec Claude Lévi-Strauss, il s’agit soit de l’anthropoemie (du grec emein « vomir »), soit de l’anthropophagie (du grec phagía « consommer »).
Vous avez hâte de goûter vous-même à cette première sélection du festival? Voici mon ranking personnel :
[Allemagne & Kenya, 21:00]
On commence par un film à l’actualité bouleversante. Imaginez la situation suivante : votre mère est malade et pour aller lui rendre visite dans votre ville natale, il vous faut faire un trajet de 30 heures en autocar. Que feriez-vous (à moins de jeter l’éponge au premier abord)? Peut-être demanderiez-vous un coussin confortable au chauffeur et probablement vous vautreriez-vous dans le siège, prêt(e) à profiter du programme de divertissement à bord, n’est-ce pas?
La protagoniste dans ce court-métrage de Katja Benrath ne se met pas en mode détente. Tout au contraire : si elle s’adresse au conducteur, c’est pour se renseigner à savoir si le véhicule sera escorté par la police. Quand elle apprend que cette dernière ne les protègera que durant la dernière étape, elle est visiblement effrayée et se met à prier. La raison : la jeune femme appartient à une minorité chrétienne qui, au Kenya, a souvent été la cible d’attaques sanglantes de la part de terroristes musulmans.
Pour la chrétienne du film, la peur n’est pas sans fondement. L’une de ces attaques lui a fait perdre son mari et son enfant, suite à quoi elle a décidé de s’exiler. Et aussi à son retour, sa peur s’avère juste : le bus est effectivement intercepté par des fanatiques armés qui exigent aux autres passagers de révéler l’identité de l’« incroyante ». Mais au grand étonnement de cette dernière, les musulmans ne la dénoncent pas, mais se solidarisent avec elle.
Basé sur un événement authentique, le film rappelle de par sa concision et son réalisme poignant ce à quoi ressemble le quotidien dans un pays régi par le terrorisme. Watu Wote – définitivement le numéro 1 de mon ranking.
[Allemagne, 10:00]
Mettant en scène la réalité vécue d’une jeune maman, Kleptomami partage avec Watu Wote son réalisme. Or, à la différence de ce dernier, le court-métrage de Pola Beck nous touche par ses images humoristiques et bizarres. Attrapée en flagrant délit de vol à l’étalage, la protagoniste se voit arrêtée par l’agent de sécurité du supermarché. Au lieu de lui présenter ses excuses, elle lui demande de manière provocante « Do you have kids? » et lui raconte toute la tragédie de sa maternité : être mère, selon elle, c’est la guerre, c’est une lutte de boxe éternelle, c’est la déshumanisation totale de son corps de femme désormais restreinte au rôle de vache laitière.
Le bilan : un film qui excelle par son montage intelligent, mais qui a détruit en moi toute aspiration à devenir maman un jour, car, moi, je n’ai point envie d’avoir une déchirure périnéale au troisième degré. Non, pas du tout.
[Allemagne, 3:00]
Vous détestez les documentaires du genre National Geographic? Vous allez ADORER cette découverte de trois minutes qui vous montrera la gloutonnerie de l’objet d’étude du clip : le caméléon. Parodie dudit format poussiéreux, Our Wonderful Nature peut en même temps être lu comme une satire de l’être humain moderne – vorace, avide, insatiable. « Despite all of its advantages, it has yet to develop appropriate countermeasures against its biggest weakness: its untamed sense of appetite. It is truly a wonder that this creature has managed to survive. »
[Allemagne, 16:00]
Bien qu’elles ne se connaissent que depuis peu, Jakob et Nicole se lancent dans l’aventure du vivre ensemble, mais ceci sous des circonstances extrêmes. L’appart est en fait l’une des gondoles d’une grande roue – impossible d’en sortir avant le prochain « atterrissage ». Ce sera donc dans ce huis clos que Nicole se révélera être une adepte du SM. Son désir : être traitée comme un chien.
La litanie de la valse faussement joyeuse de Shostakovich accompagne, comme pour se moquer subtilement de la naïveté du couple, la perplexité de Jakob à qui le parc d’attractions qu’est devenue sa vie provoque la nausée. Bien fait!
[Autriche, 4:00]
En dernière position, l’on retrouve cette vidéo musicale qui traite de l’inquiétude de l’homme moderne devenu totalement transparent dans un monde où la surveillance est omniprésente. Le sujet nous parle d’emblée tout comme son animation superbe, mais la chanson, qui est censée souligner les images, ne me convainc malheureusement pas. Bonne idée, mais perfectible!
Faisons le point pour que la lecture de la critique du film ne prenne pas plus de temps que son visionnement : drôle, poignante, vive, originale – telle est la récolte germanophone de l’édition actuelle du festival Longue vue sur le court. Tout le monde, passez donc à table!
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