« Qu’est-ce que tu es prêt à faire pour ton pays?
— Mourir. »
Imaginez ces situations : des coups de feu au mariage, tirés en l’air par une jeune mariée tenant entre ses mains un flingue au lieu d’un bouquet? Des femmes prenant le café dans le jardin en se moquant des meurtres de jeunes délinquants comme s’il s’agissait d’une simple causerie anodine? Un nouveau-né qui vient de perdre son père et qui aura probablement perdu son parrain avant de pouvoir dire le mot « papa »? D’après vous, pour les habitants de quel pays la mort et le meurtre font partie de la routine quotidienne? L’Israël, la Syrie, le Mexique…?
Auriez-vous pensé à la Corse aussi? Eh bien, moi non plus. Mais après avoir vu Une vie violente de Thierry de Peretti, on ne peut s’empêcher de regarder l’île de vacances sous une tout autre lumière.
Dans Une vie violente de Thierry de Peretti, Stéphane décide de retourner en Corse pour assister à l’enterrement de Christophe, son ami d’enfance et compagnon de lutte, assassiné la veille – et ceci malgré la menace de mort qui pèse sur sa tête. C’est l’occasion pour lui de se rappeler les évènements qui l’ont vu passer, petit bourgeois cultivé de Bastia, de la délinquance au radicalisme politique et du radicalisme politique à la clandestinité.
Dans son deuxième long-métrage, Thierry de Peretti dresse le parcours d’un jeune Corse qui, par ses origines sociales – famille bourgeoise bien lotie –, est destiné à faire carrière en France, lui l’étudiant prétentieux « aspir[ant] à mieux » et à ne fréquenter que « des gens à [s]on niveau ». Mieux que de rester en Corse où il n’y aurait que des « cloches ». Tel est, du moins, le jugement initial de Stéphane.
En l’espace de quelques mois, toutefois, Stéphane préférera rester dans son pays natal, quitte à abandonner tous ses projets académiques, voire à perdre la vie. Qu’est-ce qui peut provoquer un tel revirement d’esprit? D’habitude, trois facteurs sont décisifs : soit une femme qui fait perdre les pédales à son amant, soit un évènement existentiel – une naissance, une maladie, une mort – qui bouleverse tout, soit un leader politique manipulateur.
Dans la Corse de Thierry de Peretti la vie ne surprend plus personne et les femmes n’ont pratiquement rien à dire. Il ne reste donc que l’idéologie militante d’un pays qui depuis les années 1970 lutte pour devenir indépendant de l’Hexagone.
Apolitique et ignorant la situation politique de la Corse au début du film, l’étudiant en sciences politiques ne semble pas particulièrement voué à entrer dans un groupe nationaliste. Pourtant, telle est son évolution : lorsque la police française découvre chez lui des armes illégales la petite délinquance commise avec sa bande de mecs hyper cool devient soudainement un crime politisé.
Stéphane est soupçonné de travailler pour un mouvement nationaliste et est emprisonné. La réclusion, qui, en principe, devrait assurer que le criminel ne fasse plus de mal, entraîne ironiquement l’effet inverse dans Une vie violente : ce n’est qu’ici que Stéphane se politise – sous l’influence d’un groupe d’autres détenus qui le convainquent de leurs idées marxistes. Pour eux, le jeune solitaire naïf n’est qu’une proie facile. Pour Stéphane, cette rencontre est le début d’une vie marquée par la violence.
« La Corse c’est une partie de cartes que tout le monde triche. De tous les côtés, l’État, les voisins, tout le monde le triche. Basta! », c’est cette idée manichéenne que le chef du groupe clandestin inculque avec véhémence à son nouvel adepte. Désormais, les bons ce sont les Corses, les mauvais les Français. Stéphane est séduit par l’idée de changer le monde aux côtés de l’armée secrète, il est séduit aussi par la perspective de faire partie de ce monde viril – excitant, puissant, aventureux.
Au début, sa nouvelle vie de militant lui semble comme une partie de cartes, un jeu qu’on ne prend pas au sérieux parce qu’il ressemble trop à un film de James Bond. Un jeu dans lequel on suppose néanmoins une chose : que la donne soit favorable à son équipe de winners. À sa sortie de prison, Stéphane mobilise ses anciens amis et bientôt le mouvement passe à ses premières actions : conférences de presse, revendications, attaques, explosions, meurtres, etc., intelligemment filmés avec une caméra portative et au format carré comme si les images étaient rapidement filmées par des témoins avec leurs smartphones.
Le premier jour de victoire : le jour où les médias cessent de les considérer comme un mouvement politique passager quelconque, mais comme un mouvement qu’il faut prendre au sérieux et qui visiblement a l’intention de rester. Stéphane et les autres se sentent alors invincibles.
La suite de l’action est prévisible puisque le statut social élevé de Stéphane se prête formidablement bien à illustrer la fameuse chute du héros tragique. Du jeune prétentieux se pavanant fièrement dans les rues de Bastia au terroriste recherché qui vit en clandestinité et ne sort plus sans son gilet pare-balles. Car il est clair que le groupe ne restera pas intouchable – le patron se fait assassiner et ses membres sont alors sujets aux règlements de compte à l’ordre du jour dans un pays marqué par des structures mafieuses. Christophe, l’ami du protagoniste, n’en est que le premier. Bref, la violence continuera…
Lorsqu’à la fin du film Stéphane se promène dans les rues de Bastia, il se souvient d’avoir observé, enfant, un homme de son âge se faire tirer dessus. Plus que les scènes de violence ouverte, c’est l’impassibilité de ce Corse face à sa propre « issue fatale » imminente qui choque le plus. C’est à la fin qu’on se rend compte que le film n’aurait pas pu s’intituler Sa vie violente, puisqu’en Corse il semble bien que la violence se passe d’une génération d’hommes à l’autre, chacun condamné à vivre Une vie violente.
Seul, Stéphane a l’impression de se trouver dans une situation sans issue, impression qui est brillamment mise en évidence par l’esthétique du film : la perspective réduite par le format carré dans certaines scènes ou, plus souvent, l’encadrement visuel du protagoniste par le décor (portes, murs…), comme le montre cette image :
En revanche, ensemble avec sa bande de combattants, Stéphane se sent fort. Les hommes semblent ne former qu’un seul corps de lutte invincible. Cette impression d’unité est notamment créée par la similitude des couleurs des costumes et la proximité physique des hommes, rapprochés les uns des autres, comme on peut les voir sur l’affiche ou sur l’image des hommes en prison présentés plus haut.
Basta! Aux salles maintenant!
Vous êtes de Corse ou en connaissez quelqu’un?
Vous êtes intéressé/e à la politique?
Vous n’avez rien contre l’excès de testostérone?
C’est votre film. La sortie en salles est prévue pour le 30 mars 2018.
Note : 7/10
© 2023 Le petit septième
En raison de circonstances exceptionnelles, la sortie du film au Québec est reportée au 20 avril.