« Vous avez l’autorisation de votre mari? »
Téhéran : une société schizophrène dans laquelle le sexe, la corruption et la prostitution coexistent avec les interdits religieux. Dans cette métropole grouillante, trois femmes de caractère et un jeune musicien tentent de s’émanciper en brisant les tabous.
Présenté lors de la semaine de la critique à Cannes en 2017 et récipiendaire du Prix de l’innovation-Daniel Langlois lors du dernier Festival du nouveau cinéma, Téhéran tabou, d’Ali Soozandeh, nous amène dans la vie de 3 personnages vivants à Téhéran, en Iran. Un film tourné selon la méthode de la rotoscopie, ce qui ajoute de la force au côté tabou de cette société.
S’il y a une chose que Téhéran tabou met bien en lumière, c’est le rôle de la femme dans la société iranienne. On comprend assez rapidement que la femme n’a pas réellement son mot à dire. En tout cas, pas si un homme est impliqué.
On suit donc Pari (Elmira Rafizadeh), une prostituée qui doit trimbaler son garçon d’une dizaine d’années avec elle lorsqu’elle rencontre des clients; Sara (Zar Amir Ebrahimi), une jeune femme sur le point de se marier et qui rêve d’avoir la possibilité de travailler; et Babak (Arash Marandi), un jeune musicien qui se retrouve dans le pétrin après avoir couché avec une fille rencontrée dans un bar.
Ces trois histoires ont un point en commun : chaque personnage vit des moments difficiles liés à la situation sociale des femmes dans ce pays. Pari vit seule avec son garçon, sans mari pour la supporter, celui-ci étant en prison. Elle veut inscrire son fils à l’école, mais elle ne peut pas parce qu’elle n’a pas la signature du père. Sara aimerait travailler afin de se sentir accomplie. Mais son mari refuse de signer ses papiers afin qu’un employeur puisse la faire travailler. Quant à Babak, il se retrouve dans le pétrin après que la femme avec qui il a baisé dans un bar lui demande (exige) de payer son opération afin de reconstituer son hymen, car elle doit se marier dans quelques jours.
Dans la classe moyenne où se situe l’intrigue, les restrictions découlent autant de la mentalité des gens que des lois du pays. L’honneur familial y est extrêmement important. L’Iran est une société où les liens sociaux sont décisifs et jouent un rôle majeur, notamment dans la réussite. Un individu et sa famille peuvent perdre leur honneur à cause d’une relation extraconjugale. Et être envoyé en prison et payer une amende n’est rien comparé au fait que cette condamnation soit rendue publique. Quand les proches, les voisins, sont informés du « crime », alors l’honneur de toute la famille est perdu, irrémédiablement. C’est cet honneur qui est en jeu pour chacun de ces 3 personnages.
De cette situation découle une paranoïa malsaine. Les personnages se cachent afin de pouvoir parler au téléphone. Et pour cause. Une scène nous montre un jeune couple qui se fait arrêter par la police parce qu’ils se tiennent par la main en public alors qu’ils ne sont pas mariés.
Mais derrière la paranoïa se cache l’hypocrisie de toute une société envers son peuple. Il est illégal pour un couple de s’embrasser en public, mais il est accepté que l’enfant d’une prostituée soit présent dans la voiture alors qu’elle fait une pipe à un homme qui conduit… Sans oublier qu’une femme ne possède aucun droit si son mari, son père ou son frère (si elle n’a ni père ni mari) ne signe une autorisation pour elle. Pas même le droit d’inscrire son enfant à l’école.
Afin de montrer cette hypocrisie, le réalisateur a choisi d’utiliser la technique de la rotoscopie : « J’ai vu des films tournés au Maroc ou en Jordanie censés représenter l’Iran, mais je n’ai pas trouvé ça convaincant. J’ai choisi la rotoscopie car, dans l’animation, c’est le procédé qui apporte le plus de réalisme aux personnages. »
C’est quoi la rotoscopie? Après avoir terminé le storyboard et le casting, on tourne sur fond vert avec les acteurs. Durant cette phase, le travail se fait en studio avec une équipe de tournage normale. Puis, il faut créer des images provisoires pour les arrière-plans. Ensuite, une fois le montage terminé, on passe à l’animation. On crée les arrière-plans définitifs, c’est-à-dire une combinaison d’éléments 3D et de dessins, puis les personnages, qui sont dessinés séparément. Enfin, on combine tous ces éléments pour composer l’image finale. Pour Téhéran tabou, ce travail a duré 13 mois.
Et évidemment, tourner ce genre de film en Iran ne pouvait se faire. À moins d’avoir envie d’être condamné à mort…
« Briser les tabous, c’est protester. En Iran, les prohibitions juridiques et les restrictions morales façonnent le quotidien. Mais, dès que la sexualité est réglementée, les gens trouvent toujours comment contourner les interdits. À ce jeu-là, les Iraniens se montrent très créatifs. L’absence de liberté les pousse à avoir une double vie, un double standard de valeurs. Dans leur vie sociale, ils font preuve d’une austérité de façade. Dans leur vie privée, le sexe, l’alcool, les drogues sont parfois sans limites. Cela entraîne de nombreuses complications sociales, qui peuvent conduire à des situations absurdes, voire comiques. »
Cette citation d’Ali Soozandeh résume bien Téhéran tabou. Il est évident que dans ce genre de société, si vous n’êtes pas dans l’élite masculine, vous n’avez pas votre mot à dire.
Ici, on en vient à aimer et à détester chaque personnage à tour de rôle. Peut-être que c’est mon point de vue d’Occidental qui m’embrouille, mais je ne peux faire autrement que d’en vouloir à Sara de ne pas confronter son mari, ou à Pari de rencontrer des clients en compagnie de son fils. Mais en même temps, on ne peut faire autrement que d’être pris de compassion pour les 3, voire 4 personnages (incluant la pauvre fille avec qui Babak est aux prises) qu’on suit à travers Téhéran.
Note : 8.5/10
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