« Tes discours, je n’y crois plus »
La vie d’Edith (Sandrine Bonnaire) est bouleversée. L’usine dans laquelle elle travaille depuis toujours est délocalisée au Maroc. Pour les ouvriers, l’unique alternative au chômage est d’accepter un reclassement au Maroc. Edith, sans attache, avec un fils travaillant au loin, est la seule à faire ce choix. Même si les premiers pas dans cette nouvelle usine et ce pays inconnu sont difficiles, Edith se lie vite d’amitié avec Mina (Mouna Fettou), qui tient la pension où elle loge. Grâce à cette amitié, sa vie prend un nouveau tournant.
Prendre le large de Gaël Morel coécrit avec Rachid O. nous plonge dans la réalité de la mondialisation. Les usines sont délocalisées et les employés sont simplement jetés et remplacés par une main-d’œuvre moins coûteuse. La nécessité des syndicats, qui sont devenus presque une mafia avec le temps, en est peut-être une des causes.
Lorsque les syndicats ont été créés, ils étaient nécessaires. C’est encore le cas aujourd’hui. Mais la propension qu’ont ceux-ci à exagérer et à souvent créer des conflits de toutes pièces ne fait qu’augmenter le nombre d’usines qui sont délocalisées. À Tarare, non loin de Villefranche, 80 % des usines ont mis la clé sous la porte. Quelques-unes sont encore en activité dans ce bassin, parmi lesquelles celle où le père du réalisateur a travaillé. C’est là que les séquences d’usines en France ont été tournées.
Dans Prendre le large, c’est une usine de textile. Le même genre d’usine qu’il y avait dans la ville qui m’a vu naitre. Et, là encore, ces usines sont presque toutes disparues. Comment lutter dans un système capitaliste où la valeur première est le plus gros profit possible?
Edith, contrairement à la grande majorité des ouvriers et ouvrières français, choisira de s’expatrier. « Je voulais rendre hommage au milieu ouvrier d’où je viens; tourner un film qui s’y déroule entièrement. », expliquait le réalisateur.
Une incursion réussie!
La décision d’Edith est presque suicidaire. On voit bien, d’ailleurs, que même les responsables des ressources humaines qui font ces offres de reclassement n’y croient pas. La pauvre femme est complètement soufflée lorsqu’Edith accepte l’offre.
Ces offres sont inscrites dans la loi du travail, en France. Et les entreprises sont tenues de les faire avant un licenciement. Mes leurs propositions sont toujours (jusqu’à preuve du contraire) indécentes. Par exemple, récemment, les ouvriers de Whirlpool se sont vu proposer un salaire de 400 euros s’ils acceptaient d’être reclassés en Pologne où leur usine a été délocalisée. Mais des gens qui acceptent, ce n’est pas juste de la fiction. Ça s’est vu…
Notre héroïne arrive donc au Maroc pleine d’espoir. L’espoir de changer de vie. Mais le paradis espéré se transforme rapidement en enfer. Le choix du Maroc n’est pas innocent. C’est le seul pays d’Afrique du Nord qui offre autant de sécurité aujourd’hui. De plus, il est associé aux vacances. Edith, une Française qui se retrouve à mener une vie d’ouvrière là-bas, loin des images de cartes postales, c’est dur à avaler pour les gens de la place. Et tout au long du film, elle devra se battre contre le regard des gens qui ne cessent de la prendre pour une snob touriste.
D’ailleurs, c’est afin de s’assurer du réalisme dépeint que Morel a coécrit le scénario avec Rachid O. Et cette réalité est aussi belle que brutale. Le Maroc offre des beautés, à commencer par le paysage. Mais les rues y sont encore dangereuses, surtout pour une femme blanche, seule. Et Edith l’apprendra à ses dépens.
C’est comme la vie à l’usine. La réalité est loin de celle de la France. Dans ces usines le bruit qu’on y entend est presque insoutenable.
Edith comprend rapidement qu’au Maroc, la solidarité n’existe pas entre les ouvrières. La vie en générale est d’ailleurs très différente. Et c’est là que le bât blesse dans Prendre le large. Cette adaptation est beaucoup trop facile.
Malgré les difficultés à l’usine, elle ne semble pas trop affectée. Malgré l’accueil froid que lui réserve Mina, elle ne semble pas affectée. Et malgré le vol violent qu’elle subit dans la rue, elle ne semble pas particulièrement affectée. Et rapidement elle tombe en amour avec ce pays qui ne lui donne que peu d’espoir.
Son adaptation passe évidemment par l’acceptation du fils de Mina, Ali. C’est lui qui amènera sa mère à apprécier la Française et à développer une relation d’amitié avec elle. Par contre, j’aurais aimé qu’on puisse voir un partage de culture entre les personnages. Malheureusement, cette mixité ne se fait pas et l’adaptation se fait de façon aussi subite que surprenante…
Un bon coup de Prendre le large vient de la description qu’on y fait du Maroc et de ses habitants. On découvre une Mina divorcée. Lorsqu’elle marche, elle « possède » la rue. La loi est de son côté : on ne répudie plus les femmes au Maroc. Le pays, aujourd’hui, aspire à la liberté absolue, comme l’Espagne au moment de la Movida. Par exemple, à la cinémathèque de Tanger, qui jouxte la Mosquée, toute une jeunesse gothique vient désormais voir des films interdits par l’Islam où l’on parle d’homosexualité.
La seule chose qui empêche cette liberté d’éclore pleinement est la présence islamiste, très forte, et la sécurité énorme mise en place autour. Ce qu’on voit bien lorsqu’Edith prend le bus pour l’usine. Elle se fait immédiatement dire de porter un foulard pour couvrir ses cheveux. Le soir même, elle porte un foulard.
Dans un autre ordre d’idées, le réalisateur a eu une belle idée en changeant de format d’image en cours de film. En France, il utilise un format très large pour montrer une sorte d’écrasement. Puis, au Maroc, il modifie son cadre pour mieux montrer le décor, les montagnes, et pour montrer que le personnage commence à se sentir plus libre. Intéressant…
Prendre le large montre la réalité des délocalisations d’usines, sans tabou ni censure. Le tout en faisant un petit clin d’œil aux syndicats qui gagneraient à se réinventer.
Note : 7/10
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