« Je suis un changement. Je suis libéré. Je suis divisé. »
Bagages est un film qui donne la parole et la scène à des adolescents de l’école secondaire Paul-Guérin-Lajoie-d’Outremont nouvellement arrivés à Montréal. On découvre leur récit de migration et d’intégration à travers des ateliers d’art dramatique, des mises en scène théâtrales et des entrevues où ils se révèlent à nous. Ils témoignent d’un « ailleurs » et d’un « avant » qui deviendront « ici » et « maintenant ».
Disponible depuis peu dans la zone vidéo de Télé-Québec, ce documentaire de Paul Tom et Mélissa Lefebvre a été récompensé, en 2017, du prix du public dans la catégorie « Longs métrages canadiens » au Festival du cinéma de la ville de Québec, du prix des détenues aux Rencontres internationales du documentaire et du prix Télébec dans la catégorie « Meilleur moyen métrage » au Festival du cinéma international de l’Abitibi-Témiscamingue. Intriguée, je l’ai visionnée et je vous recommande d’en faire de même.
Paul Tom est né de parents cambodgiens dans un camp de réfugiés en Thaïlande. Dans ses films, il explore notamment les thèmes de la construction de l’identité́ et des relations familiales.
Lorsque les jeunes des classes d’accueil de l’école Paul-Guérin-Lajoie-d’Outremont sont arrivés au Québec, ils ne parlaient pas le français. Ils devaient suivre des cours d’immersion. Ils se sentaient isolés, face à eux-mêmes, déracinés de leur pays, de leur famille élargie.
Ces jeunes ont dû apprendre à s’exprimer en français, à s’exprimer dans une langue qui n’est pas la leur et qu’ils n’ont pas forcément choisie. Certains élèves ne voulaient pas immigrer; ils ont dû suivre leurs parents qui, bien souvent, accomplissaient ce geste pour eux, pour leur avenir. Mais cela n’est pas simple à comprendre pour des enfants et des adolescents qui perdent leurs repères.
À plusieurs reprises, devant leurs témoignages, j’ai eu la gorge nouée. La sincérité de leurs propos est touchante. Leurs histoires, uniques et semblables à la fois, montrent à quel point, malgré nos différences, nous nous ressemblons, que les sentiments sont les mêmes, et ce, que tu viennes d’Iran, de Russie ou de la Chine.
À travers les cours d’art dramatique donnés par Mélissa Lefebvre, les élèves mettent en scène l’école de chez eux et d’ici. La plupart d’entre eux semblent considérer que l’école ici est plus facile.
Certains parlent, par rapport à leur pays d’origine, de la forte pression exercée sur les élèves afin qu’ils performent, d’autres des violences physiques ou verbales de quelques professeurs, d’autres encore du code vestimentaire et des règles strictes qui régissent la vie dans les établissements scolaires.
Dans les écoles québécoises, beaucoup plus laxistes – peut-être même trop bien que je condamne totalement toutes formes de violence envers les élèves –, les élèves considèrent que les matières scolaires (exception faite peut-être du français) sont plus simples que chez eux, que les conséquences aux manquements – par exemple, un devoir non fait – sont presque inexistantes, etc. Cela ne devrait-il pas nous choquer un peu?
Étant moi-même liée au monde de l’enseignement, je ne vois pas ce genre de perception positivement. Cependant, que l’école soit vue comme un lieu où l’apprentissage peut être vécu avec une certaine dose de plaisir – par la possibilité de suivre des cours d’art dramatique entre autres – est une excellente chose.
Tout au long du film, au fur et à mesure que la session d’art dramatique avance, les jeunes travaillent à une pièce qui leur ressemble, qui les représente. Une pièce qui évolue sous nos yeux, dont on connaît l’envers du décor, qui est teintée par tous les témoignages souvent présentés sous forme d’entrevues.
« Je suis né ailleurs, mais j’espère une chose : que cet ailleurs ne soit pas une frontière, que cet ailleurs nous ouvre toutes grandes ses portes. »
« C’est la situation qui change. Ce n’est pas moi. Moi je reste pareil », dira l’un d’entre eux. Il faut une grande dose de courage et d’ouverture à l’autre afin de parvenir à faire partie d’un nouveau groupe, d’un groupe qui est très différent de tous ceux que l’on a connus jusqu’alors. On reste peut-être le même, mais un vent de changements balaie tous nos repères.
Dans la valise (symbolique) de ses jeunes, en plus de leurs souvenirs et de ce qui les rattache à leur pays d’origine, il y a maintenant une partie d’ici, de ce qu’ils auront appris ici, de ce qui constitue l’identité québécoise. Certains se sentiront Québécois avec le temps, d’autres conserveront le sentiment d’être étrangers, mais un étranger qui a été « adopté » par le Québec, qui en fait partie tout en conservant son unicité.
Le Québec est ainsi montré comme une terre d’accueil généreuse et ouverte. J’espère du fond du cœur que cela ne changera pas par crainte de l’autre, par peur du terrorisme. Ce mot résonne sur toutes les lèvres et nous emprisonne dans une mer de préjugés.
Bagages donne la parole à des jeunes, est une tribune pour qu’ils racontent leurs histoires, pour qu’ils nous permettent de nous ouvrir à l’autre, de le comprendre et de lui tendre la main.
Note : 8,5/10
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