Quel meilleur exemple de grande illusion que le Brexit? En toile de fond, l’immigration, la désindustrialisation, le chômage, la pauvreté, la perte d’identité, la peur de l’autre. Des problèmes qui pourront être réglés par le retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne?
Dans le documentaire Brexitannia, le réalisateur Timothy George Kelly donne la parole à des Britanniques de tous horizons, provenant de toutes les régions du pays. Puis ce sera le tour de quelques experts connus pour leur approche critique.
Tourné en noir et blanc, avec la caméra en retrait, le film nous permet de découvrir les protagonistes dans un environnement qui assoit leur milieu de vie et leurs préoccupations. Tous les citoyens rencontrés n’ont pas pris l’exercice référendaire à la légère, ont réfléchi à la question et expriment bien ce qui les a fait pencher en faveur de l’une ou l’autre des options. Toutes les questions soulevées dans l’ensemble de nos sociétés occidentales sont présentes avec les raccourcis et les préjugés inhérents à des sociétés en profonde mutation.
On sent jusqu’à un certain point les divisions entre grandes villes et milieux ruraux, entre jeunes et vieux, entre les Écossais, les Irlandais et les Anglais, mais pas de façon caricaturale. Bien sûr les fonctionnaires de Bruxelles en prennent pour leur rhume avec une anecdote assez amusante sur la forme des concombres!!! qui peuvent être commercialisés ou l’obligation pour les moutons de porter deux identifications différentes, une à chaque oreille.
Mais ce qu’on décode surtout, c’est le grand désarroi que ressent une bonne partie de la population désorientée devant les transformations de la société et les déclarations souvent fracassantes et même malhonnêtes des politiciens et pouvoirs publics. Des citoyens qui ne demandent pas la lune mais qui n’ont souvent même plus le minimum essentiel et d’autres encore qui servent de bouc émissaire à cause de la couleur de leur peau ou de leur origine. Et qui ne sont pas dupes du jeu des élites. À la toute fin de la première partie du film, un homme plus tout jeune résume bien la situation : « le Brexit, ça n’a pas beaucoup d’importance parce que nous n’avons plus rien de toute façon ».
Le grand mérite du réalisateur, c’est de ne pas porter de jugement de valeur sur les citoyens britanniques qu’il a invités à témoigner, de les laisser s’exprimer au-delà des quelques secondes que préfèrent les bulletins de nouvelles. Et de donner ensuite la parole à des « experts » qui eux non plus ne jugent pas mais situent plutôt cet exercice « démocratique » dans le contexte de néolibéralisme dans lequel nous vivons. De Noam Chomsky à la sociologue néerlandaise Saskia Sussen en passant par le philosophe italien Federico Campagna, chacun y va d’exemples concrets qui expliquent pourquoi les gens se tournent les uns contre les autres, les pauvres contre les plus pauvres encore, ces migrants qui affluent aux portes de l’Europe.
Une phrase résume particulièrement bien les constats du film : « le racisme est un outil très utile pour les élites blanches parce qu’il détourne les blancs pauvres des véritables responsables de leur déchéance ».
Même si Brexitannia porte uniquement sur le Brexit, il nous aide à comprendre pourquoi un Donald Trump a pu accéder à la présidence des États-Unis ou qu’une Marine Le Pen s’est rendue au deuxième tour de l’élection présidentielle française. Un très, très bon documentaire.
Note : 9/10
* Le film est présenté aux RIDM les 13 et 15 novembre 2017.
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