Quand les migrants syriens, irakiens, pakistanais, afghans et autres réussissent à mettre le pied sur le sol européen, au péril de leur vie, ils sont souvent « parqués » dans des camps de transition comme celui d’Idomeni en Grèce où les réalisatrices Niki Giannari et Maria Kourkouta ont posé leur caméra pendant de longues semaines. Ils attendent de traverser la frontière gréco-macédonienne. Et ils doivent faire des queues pour tout : manger, boire du thé, consulter un médecin. Comble de malchance, un jour l’Europe décide de fermer ses frontières une bonne fois pour toutes. Et certains d’entre eux se rebelleront et décideront de bloquer le train qui traverse le terrain vague boueux, austère, inhospitalier où ils sont retenus.
Les réalisatrices du documentaire Des spectres hantent l’Europe ont fait le choix de longs, très longs plans séquence à la mesure du temps qui coule, interminable, dans ce no man’s land où vivent entassés ces exclus de nos sociétés. Pas de personnage principal, aucune rencontre particulière avec l’une ou l’autre de ces familles qui ont fui l’enfer. On ne saura jamais qui elles sont, dans quelles circonstances elles ont quitté leur pays. On ressent bien sûr le drame qui est le leur, tout au long du film, mais rien ne sera dévoilé à travers des mots, dans leurs mots.
Tout ce qu’on entend clairement et qui nous est traduit, ce sont les messages de la police et des autorités du camp qui répètent que la frontière est fermée et qu’ils ne seront pas accueillis ici ou ailleurs en Europe. Jusqu’au moment où certains d’entre eux décideront de se rebeller et de bloquer la voie ferrée. Mais cette décision ne fait pas l’unanimité chez les réfugiés : des groupes s’affrontent. Les uns reprochent aux autres de s’en prendre à la Grèce et aux Grecs en bloquant le train alors que c’est le seul pays qui leur vient en aide. Prétention aussitôt rejetée par ceux qui clament qu’ils n’ont plus rien à perdre puisqu’ils ont déjà tout perdu. Un dialogue de sourds alors même que les tractations entre dirigeants européens et le reste du monde se passent bien au-dessus de leurs têtes.
Tout est lourd dans Des spectres hantent l’Europe : le ciel plombé, les terrains boueux, les chaussures imbibées d’eau à l’image du poids de la douleur des populations et de l’indifférence presque généralisée à leur égard. Seuls petits moments de répit de temps à autre, les jeux et les rires des enfants.
Dans la dernière partie du film, sur des images en noir et blanc du camp et de ses habitants, les réalisatrices nous invitent à un grand retour dans l’histoire de tous ces réfugiés à travers les siècles, victimes de guerres civiles, de pogroms, de l’inhumanité du monde. Une réflexion essentielle à l’heure où tout se mesure au temps présent et instantané.
La proposition cinématographique des réalisatrices est exigeante. La lenteur, l’absence des mots, le contraire de ce qu’on voit généralement sur nos écrans. Mais les images et le sort de ces populations me hantent depuis le visionnement du documentaire comme ces spectres qui hantent l’Europe.
Note : 7,5/10
Le film est présenté aux RIDM les 12 et 14 novembre 2017.
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