Qu’est-ce que la vie quotidienne quand votre voisin peut se transformer en bombe humaine ou en poseur de bombe? Est-ce une vie normale? En tout cas, c’est la vie que subissent les habitants de Jalawla, dans le centre de l’Irak. Après le départ des Américains fin 2011, ces Irakiens croient en un avenir meilleur. Mais tout ira de mal en pis, coincés qu’ils sont entre les pershmergas, des combattants Kurdes, et ceux de l’État islamique. Ajoutez à cela, les luttes séculaires entre Sunnites et Chiites et vous ne retrouverez que mort et destruction. Le seul salut pour les survivants sera l’exil intérieur.
Dans Nowhere to Hide, le réalisateur norvégien d’origine kurde, Zaradasht Ahmed, raconte leur histoire à travers les yeux de Nori Sharif, un infirmier rattaché à l’hôpital de Jalawla, heureux époux et père de 4 enfants. Confronté aux difficultés de tourner ce documentaire en pays étranger mais aussi aux dangers inhérents au projet, Ahmed décide de confier sa caméra à Nori. Cet homme solide et confiant dans l’avenir s’étonne de la requête du réalisateur. Après tout, les gens heureux, comme lui et sa famille, n’ont pas d’histoire. Mais c’est une véritable descente en enfer que connaîtront Nori, sa famille, les habitants de Jalawla et de toute la région.
Déjà dans la première séquence du film, le spectateur comprend que le voyage ne sera pas de tout repos. Puis aussitôt le réalisateur nous transporte dans un autre univers : enfin libérés des Américains, ces Irakiens de la province de Diyala croient à un avenir meilleur. L’hôpital a le personnel nécessaire, les écoles sont ouvertes. Certes il y a ces mutilés de guerre dont le regard porte toute la souffrance du monde, ces enfants qui deviennent le gagne-pain de la famille parce que le père handicapé ne peut plus travailler. Mais il y a toujours l’espoir d’une vie normale.
Nori est d’ailleurs sollicité pour filmer les grands événements de la vie comme ce mariage où tout le monde le réclame. Mais rapidement, les images seront de plus en plus sombres : de l’identification des corps à la morgue à celle de cette mère littéralement écroulée sous le poids de la douleur, le regard vide, alors que sa petite fille gravement blessée est traitée à l’hôpital de la ville de Jalawla.
Et puis ce sera au tour de Nori et de sa famille de fuir la ville prise en étau entre les combattants, sous les bombes. Il dira d’ailleurs : « Avant je racontais l’histoire des victimes de la guerre. Maintenant je suis devenu l’une de ces victimes ».
La famille Sharif, comme tant d’autres, passera de refuge en refuge 13 fois avant de se retrouver en sûreté dans un camp de réfugiés. La résilience des parents mais aussi des enfants est remarquable. Les petites filles affirment d’ailleurs qu’elles sont habituées aux bombes et qu’elles n’ont pas peur. Dans sa nouvelle vie de réfugiés, la famille reprend peu à peu un rythme de vie à peu près normal : les enfants à l’école, le père comme infirmier au dispensaire du camp.
Le réalisateur Zaradasht Ahmed a fait un pari audacieux en confiant sa caméra à Nori. Mais il connaissait son personnage, sa force de caractère, son intégrité, sa foi en l’avenir. C’était sans doute la seule façon de nous faire sentir et vivre de l’intérieur la tragédie de ces Irakiens qui sont passés de la férule d’un tyran, à l’occupation américaine, aux assauts de l’État islamique, sans parler des conflits internes entre Sunnites et Chiites. L’armée irakienne et les forces de police ont abandonné la petite ville provoquant du coup l’exode de la population prise entre deux feux.
Nowhere to Hide nous fait comprendre encore plus, s’il le fallait, la tragédie des migrants et notre responsabilité face à leur destin. Mais il nous rappelle aussi que la guerre en Irak, celle-là même qui a été initiée par les Occidentaux, est loin d’être terminée. De là toute l’importance du cinéma documentaire.
Note : 8,5/10
Le film est présenté aux RIDM les 11 et 13 novembre 2017.
© 2023 Le petit septième