« [P]our moi, regarder quelqu’un mourir ne me semble pas juste. Quand ce sera mon tour, j’espère mourir seule. »
In the Waves (Parmi les vagues) est un documentaire qui dépeint la vie d’une octogénaire, Joan Alma Mills, dans son village côtier qui lui aussi vieillit. À la suite de la mort de sa petite sœur, Joan est confrontée à la fragilité humaine. Alors qu’elle tente de faire son deuil, elle cherche un sens à sa vie à travers la nature qui l’entoure.
Le documentaire a été réalisé par la petite-fille de Joan, la cinéaste montréalaise Jacquelyn Mills. Celle-ci porte sur sa grand-mère un regard tendre, empreint de poésie. C’est là un merveilleux cadeau empli d’amour qu’elle lui offre.
Cela prend un moment avant qu’on ne rencontre les petits-enfants de Joan. On la voit d’abord seule avec son mari. Les conversations sont réduites au strict minimum, surtout pour lui qui souvent ne fait que répondre un simple « oui » à son épouse.
On verra Joan reprendre vie au contact de ses petits-enfants. Les instants qu’on nous montre ne sont pourtant pas exceptionnels : l’une de ses petites-filles et elle se mesurent, faisant une marque sur l’une des poutres de la maison afin d’immortaliser les mesures, que celles-ci marquent le passage du temps, montrant que si l’une grandit, l’autre rétrécit; Joan raconte une histoire à son petit-fils ou discute avec sa petite-fille afin de s’endormir à ses côtés. Ce sont là des moments a priori banals, mais pleins de tendresse, de ceux qui façonnent les souvenirs plus encore que les présents.
Ces moments importent d’autant plus à l’octogénaire, dont la plus grande peur est que quelqu’un de cher à son cœur, une jeune personne, meure avant elle.
Joan et son mari iront visiter des connaissances à eux dans des maisons de retraite. Quelques-uns sont très malades ou lourdement hypothéqués. Ils se souviennent ensemble de moments marquants, fredonnent une chanson de leur passé ou prennent simplement le temps de leur prendre la main afin de leur montrer qu’ils ne sont pas seuls et oubliés.
Joan parle à maintes reprises de sa sœur récemment décédée. Même si quelques mois sont passés, le souvenir est toujours aussi douloureux. Dans quelques plans plus poétiques où elle en parle, ceux-ci sont généralement associés à l’eau, on bascule vers le rêve ou le passé. Une certaine confusion visuelle s’installe, déstabilisant le spectateur, le forçant à lâcher prise.
« Le ciel bleu était si proche qu’on pouvait le toucher. La vieille femme s’essuya le visage. Elle se reposait au sommet. La vague devint une rivière. Elle ne regarda pas en arrière. Elle regardait les montagnes et les vagues qui la transportaient vers celles-ci. »
La nature est très présente tout au long du film. Et le travail au niveau de la lumière, d’une lumière naturelle, est intéressant. Parfois à contre-jour, parfois dans une quasi-obscurité, on nous montre les visages, les gestes du quotidien et ceux qui permettent d’entrer en communion avec le monde.
À un moment, Joan ramasse des algues dans l’eau. C’est la texture qui est alors mise de l’avant. Jacquelyn Mills fait appel aux sens dans ce film. Et elle utilise beaucoup les gros plans, parfois même les très gros plans, pour concentrer le regard ou isoler un détail. La plupart des plans d’eau, une eau souvent trouble, sont ainsi filmés. Ça ne se limite cependant pas à ces plans.
J’ai également en tête un plan magnifique sur un arbre. La cinéaste filme ce même arbre pendant plusieurs heures et nous rejoue le plan en accéléré. Seul le ciel – les nuages et la lune – bouge. On regarde le même arbre et c’est pourtant si différent, tout en étant semblable. C’est l’une des belles représentations poétiques du passage du temps.
In the Waves est un film sur le temps, qui parfois passe lentement, parfois, rapidement, comme nous le rappelle avec justesse Joan. Un film lent, où le spectateur est invité à contempler le monde et les gens qui le constituent, à scruter les visages, à s’imprégner de certains gestes, à laisser le temps suivre son cours…
Note : 8/10
* Le film est présenté aux RIDM les 11 et 14 novembre 2017.
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