« La vie à Norilsk n’a rien à voir avec celle des autres villes. Car nous avons le sentiment de vivre sur la lune. »
Battue par les vents arctiques et suffocant dans la fumée toxique de ses usines, la ville minière sibérienne de Norilsk se recroqueville derrière ses murailles de béton. Pendant que les adolescents de la cité glacée rêvent d’exil, que des travailleurs des mines de nickel évoquent avec nostalgie la camaraderie soviétique perdue, des descendants de prisonniers du goulag et des artistes du théâtre cherchent à faire la lumière sur le sombre passé de Norilsk, enterré sous la glace et la censure. Sur la lune de nickel s’immisce avec tendresse dans la vie de ces habitants du bout du monde.
Présenté en première nord-américaine à Hot Docs (Toronto, 2017), Sur la lune de nickel de François Jacob a remporté le Prix du cinéaste canadien émergent. Il a également reçu une mention honorable à la DOXA (Vancouver, 2017).
Norilsk a été construite par des prisonniers. C’était là l’un des plus féroces goulags de l’Union Soviétique où des milliers d’hommes ont perdu la vie en travaillant dur, dans des conditions misérables. Et c’est sans parler de ceux qui ont été fusillés par les gardiens.
Aujourd’hui, Norilsk est l’un des plus grands complexes miniers du monde, en plein cœur de l’arctique russe. Les activités industrielles de la ville sont ce qui fait vivre les habitants, qui dépendent presque tous de la compagnie Norilsk Nickel, le plus grand producteur mondial de nickel et de palladium.
C’est une ville fantôme en devenir. La plupart de ceux qui y habitent rêvent de la quitter. Surtout les jeunes, qui ne souhaitent pas forcément marcher dans les traces de leurs parents. Il faut dire que la vie à Norilsk n’a rien d’enviable.
On n’a pas l’habitude de voir des ouvriers de chantier aller au théâtre. Et pourtant, celui de cette ville semble assez populaire. C’est là une occasion pour les gens de se réunir, de rompre la monotonie. La responsable du théâtre travaille d’ailleurs à réunir autant d’informations possibles sur le passé de Norilsk afin qu’en naisse une pièce et que les gens connaissent l’histoire de la ville, une histoire souvent sombre.
Quelques personnes travaillent à ce que l’histoire de Norilsk perdure, qu’on n’oublie pas la souffrance et la résignation de ceux qui ont bâti la ville en y laissant la vie.
Sur cette terre isolée, l’amitié devient d’ailleurs un refuge essentiel. Lorsqu’on est entourés de cheminées d’usine qui crachent d’épaisses volutes de soufre (on ne peut que craindre pour la santé des habitants), que le travail est dur et l’isolement du reste du monde total, la camaraderie devient essentielle.
La compagnie Norilsk Nickel organise également des activités culturelles afin d’encourager les gens, les familles, à rester. Les discours véhiculés manquent… disons de subtilité. La compagnie est tant vantée que ça devient un peu ridicule, mais ça reste assurément divertissant.
Sur la lune de nickel est un documentaire tout en lenteur, où de longs silences nous forcent à regarder le paysage, à nous imprégner du froid. Le vent glacial et la neige balaient le paysage, plongé en hiver 9 mois par année. On a vraiment le sentiment d’être nulle part, d’avoir atteint le bout du monde. Et c’est là un bon coup du réalisateur.
François Jacob est allé à la rencontre de quelques habitants, a recueilli leurs histoires : « En filmant nos protagonistes de près, dans les méandres de leur quotidien, nous vous offrons une fenêtre intime sur leur rapport au monde et leur quête d’une vie meilleure. Nous avons fait ce film pour offrir un portrait juste et émouvant de cette population déracinée, qui travaille dans des conditions éprouvantes pour fournir à la lointaine civilisation les ressources dont elle a besoin. »
Sur la lune de nickel montre un paysage lunaire, quasi désertique, si ce n’est de quelques téméraires qui bravent le froid et travaillent dur.
Note : 8,5/10
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