« Hassan, c’est le soleil. Hassan, c’est la lumière. »
Dans le métro montréalais, trois aveugles entonnent de douces mélodies. Denis, Peggy et leur fille Lauviah, sont hantés par la mort tragique du second enfant de la famille et cherchent douloureusement la lumière : dans leur musique aux accents célestes, dans leur soutien mutuel qui cède parfois à la violence ou encore dans l’enseignement mystique de Grabovoy, un guérisseur russe professant la régénération des organes et la résurrection des morts. Les rêves l’ont annoncé : Hassan, le fils si pur, l’ange parti trop tôt, reviendra bientôt à leurs côtés, et ils connaîtront enfin le bonheur.
La résurrection d’Hassan de Carlo Guillermo Proto a été couronné du Grand Prix de la compétition nationale longs métrages et du Prix des étudiants aux RIDM 2016, du Prix spécial du jury – Meilleur long métrage documentaire canadien à HOT DOCS 2017, du Prix du Meilleur documentaire canadien (ONF – ACIC) au récent Festival international de cinéma et d’art de Percé. J’étais donc intriguée par ce film aux airs mystiques.
En 2007, le réalisateur avait d’ailleurs déjà travaillé avec les membres de cette famille : « J’ai voulu transcender la notion de l’image en remettant une caméra Super-8 à un groupe de non-voyants. C’est à cette époque que j’ai réalisé le court métrage documentaire expérimental Peggy, Denis and Lauviah, d’une durée de 15 minutes, qui alliait images tournées en Super-8 et images numériques. » Il souhaitait, par ce court métrage, « remettr[e] en question la dépendance du cinéma à l’image ». Je n’ai malheureusement pas réussi à le trouver.
Pour apprécier le film, il n’est pas nécessaire de croire au phénomène de la résurrection. Les membres de la famille Harting-Roux y croient et c’est tout ce qui importe. On les suit dans leur quête et nous n’avons jamais l’impression qu’on tente de nous convertir.
Ils croient également aux enseignements de Grigory Petrovich Grabovoy sur la guérison par la thérapie génique. On assiste ainsi à des rencontres d’adaptes de ces enseignements, mais, encore une fois, on peut très bien ne pas y croire et continuer d’apprécier la détermination et la foi que Peggy, Denis et Lauviah y accordent.
La résurrection d’Hassan repose essentiellement sur la façon dont cette famille compose avec la perte d’un être aimé. Ils sont convaincus qu’il est toujours auprès d’eux et le deuil devient donc d’autant plus difficile, voire impossible. Le spectateur se doit tout de même d’être ouvert d’esprit afin de comprendre le processus qu’ils traversent pour compenser une perte immense.
Lorsqu’il a entrepris l’écriture et la réalisation de ce film, le réalisateur venait de terminer El Huaso dans lequel il racontait l’histoire de son père. Il avait donc la sensibilité nécessaire pour parler avec justesse de leur processus de deuil, qui passe ici par l’espoir d’un retour.
« La cécité est généralement considérée comme une déficience, un handicap. Parallèlement, le fait de vivre avec un handicap peut offrir de nouvelles façons de voir le monde, une forme de libération en soi », expliquait Carlo Guillermo Proto.
En tant que voyants, si nous sommes confrontés à des non-voyants, on a souvent tendance à se désoler pour eux, à les croire inaptes à une vie normale. Or, ils sont tout à fait autonomes. Proto nous présente ces êtres authentiques, qui ne se cachent pas, qui se livrent tout entier à la caméra, dans leur quotidien comme dans certains moments importants et marquants.
On assiste à quelques vilaines chicanes de couple, où l’agressivité et la violence de Denis envers les siens sont montrées. Il faut dire que Peggy n’hésite pas à le confronter. Elle lui parle toujours avec sincérité, ne prenant pas de gants blancs.
Peggy s’éloigne d’ailleurs tranquillement de son conjoint, prenant plaisir à discuter au téléphone ou par messages vocaux avec un autre homme. Cette nouvelle relation viendra jeter un peu d’huile sur le feu déjà brûlant de leur relation.
Quelques beaux plans nous sont montrés. Je pense entre autres à une scène à la piscine où Lauviah parle de son frère, parle à son frère, sur le ton de la confidence. Le cinéaste insiste alors sur l’eau, sur le mouvement des mains de la jeune femme dans l’eau, qu’on ne peut que lier à la mort par noyade d’Hassan.
Et que dire des voix sublimes de Denis et de Lauviah lorsqu’ils chantent a cappella dans le métro de Montréal. Leurs chants viennent parfois vraiment nous chercher, nous bouleversent, tant par leur interprétation que par les paroles. Denis chantera notamment « My body is a cage » et , à la fin du film, sa fille interprète merveilleusement « True love will find you in the end ».
Entre douceur et violence, entre détermination et résignation, entre douleur et plaisir, La résurrection d’Hassan nous faire vivre toute une gamme d’émotions.
Et si Hassan pouvait revenir…
Note : 7,5/10
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