Qu’y a-t-il, derrière mon moulin, sinon mon pommier en fleurs? pensa le meunier.
En des temps difficiles, un meunier vend sa fille (avec la voix d’Anaïs Demoustier) au Diable (Philippe Laudenbach). Protégée par sa pureté, elle lui échappe, mais est privée de ses mains. Cheminant loin de sa famille, elle rencontre la déesse de l’eau, un doux jardinier et le prince (Jérémie Elkaïm) en son château. Un long périple vers la lumière.
Primé au Festival international du film d’animation d’Annecy 2016, La jeune fille sans mains de Sébastien Laudenbach est un film unique et surprenant. Librement inspirée du conte éponyme des frères Grimm, l’adaptation de Laudenbach est par moments plus cruelle – le père n’hésite pas à choisir son or plutôt que son enfant – et par moments plus réaliste.
C’est pendant une résidence d’artistes que le réalisateur a peint les images de son film, « du premier plan au dernier dans l’ordre chronologique, d’une façon plus ou moins improvisée ainsi que le ferait un jazzman sur un canevas », ainsi qu’il le confiait.
Laudenbach a délibérément choisi de les livrer dans un style inachevé : « La jeune fille sans mains propose une image qui n’est pas finie. Ou pour le dire autrement, qui est in-finie. J’aime à penser que cet infini ouvre l’imagination du spectateur dont le cerveau, en manque, doit travailler pour en combler les lacunes. »
La poésie laisse place à l’interprétation. Tout n’est pas clairement énoncé, comme c’est le cas dans plusieurs romans. Le lecteur a le loisir d’interpréter, d’y ajouter sa subjectivité, d’y voir surgir un sens que d’autres ne verront pas. Et ce film est exactement à l’image de la poésie jusqu’aux indices spatio-temporels évanescents : temps lointain et pays indéterminé. C’est une véritable poésie visuelle!
Les personnages et les objets apparaissent souvent en semi-transparence. Et quand l’émotion prend le dessus, les visages se troublent, les traits grossissent, les couleurs s’accentuent. On est très loin des dessins achevés des films animés traditionnels.
On retrouve dans ce conte animé, les personnages habituels : une jeune fille en détresse, un prince et le Diable. Mais la plus grande rupture d’avec le conte original réside dans l’émancipation et l’agentivité de la jeune femme. Cette dernière refuse de se soumettre bêtement à son destin et d’accepter en silence. Elle recherche la sécurité et le bonheur, et ne compte que sur elle-même pour y parvenir.
La jeune fille fait également confiance à la déesse de la rivière, qui la guide dans ses choix. Malgré les difficultés que son handicap provoque, elle lutte et ressort grandie de ses efforts qui portent fruits.
Elle n’attend pas la venue de son prince. Et elle ne rêve pas de reprendre là où a laissé sa vie, ayant elle-même changée à fil de ses aventures. Elle ne dépend plus d’aucun homme; ni son père, ni son prince, ni le Diable n’ont d’emprise sur la suite de sa vie qu’elle est en mesure de mener par elle-même.
Et le dernier plan de La jeune fille sans mains est magnifique. Le spectateur est libre de l’interpréter comme il le souhaite. C’est dans la liberté retrouvée, avec une absence de menaces et la promesse de beaux jours à venir que l’âme prend son envol.
Note : 8,5/10
© 2023 Le petit septième