« I was born in socialist Hungary in 1983. I was a classic geek growing up,
despite the fact that there is no word for GEEK in my native language. »
« Je suis née dans une Hongrie socialiste en 1983. J’étais une geek classique,
malgré le fait qu’il n’existait pas de mot équivalent a “geek” dans ma langue natale. »
Gina Hara
Lorsque la cinéaste Gina Hara cherche à explorer la moitié cachée de la culture nerd, elle se bute à une résistance inattendue. Bienvenue dans le monde des robes mignonnes, des joueurs professionnels de jeux vidéo, des faux noms et des menaces de mort.
Avec Geek Girls, Gina Hara est la première cinéaste à réaliser un long métrage documentaire qui explore la moitié cachée de la « fan culture » : les femmes geek. Bien que les communautés geek aient récemment pris de l’importance en tant que contributeurs culturels majeurs, très peu d’attention a été accordée aux femmes qui vivent et travaillent quotidiennement avec la culture nerd. La jeune femme s’attaque ici à ce manque. C’est avec un film intime qu’elle suit ses sujets à travers l’exaltation de la découverte nouvelle de cette communauté et la tristesse de l’ostracisassions qui vient avec, tout en partageant ses propres luttes avec son identité geek.
Gina Hara ne s’est pas contenté de rencontrer deux ou trois filles de Montréal pour tracer son portrait des femmes geeks. Son film commence et se termine à Tokyo. Pourquoi Tokyo? Parce que c’est de là que vient le phénomène du cosplay, qui est au centre de Geek Girls.
Là-bas, elle rencontrera… personne, en fait. Elle réalisera que ces gens, qui sont en quelque sorte socialement mésadaptés, ne sont pas du genre à s’ouvrir facilement à une inconnue qui veut les filmer. Même si celle-ci est comme elles.
Elle y rencontrera finalement Alice et Meee (ce sont de faux nom) qui lui expliqueront pourquoi personne n’accepte de la rencontrer. Ainsi que pourquoi elles ne veulent pas que leur vrai nom soit révélé.
Sa quête la transportera aussi de Montréal (sa ville de résidence) au Texas.
Le fait d’être geek signifie surtout « être différent ». C’est aussi de ne pas se conformer au moule habituel. Même si le mot geek (ou nerd) est moins connoté qu’il l’était – en tout cas au Québec – il y a encore un certain jugement qui y est apposé.
D’ailleurs – et ça peut sembler étrange – au Japon, il semble que ce soit honteux pour les filles. Et bien qu’un grand nombre de femmes sont à fond dans le cosplay et autres trucs geek, elles se cachent et mènent un genre de double vie. Souvent, même leurs amies proches ne sont pas au courant de cette passion.
Bien que le jugement soit moins lourd en Amérique, la majorité des femmes que rencontre la réalisatrice garde leurs diverses passions secrètes. Par peur du jugement des autres, ou par peur d’être harcelées.
Mais Geek Girls va au-delà du « phénomène » geek. C’est un film dans lequel pourront se reconnaître tous ceux qui se sentent mis de côté ou différents.
Comment se fait-il que ces gens se sentent et soient souvent encore seuls s’ils sont si nombreux? Comme l’explique la réalisatrice, les gens ostracisés ont tendance à s’isoler eux-mêmes en reproduisant le même schéma sur les autres geek, ceux qui ne sont pas totalement comme eux.
On peut penser à Elisabeth Fallen, que l’on voit dans le documentaire. Elle se considère comme une Lolita. Bien que son dada ne me semble pas si étrange, le fait d’aimer s’habiller dans un style Victorien ou de faire des photos de cosplay peut mener au rejet par la majorité.
En rencontrant les diverses intervenantes, Hara dresse un portrait extrêmement intéressant de la variété des geeks. Ces femmes, qui, pour la plupart, sont de beaux modèles à offrir à nos jeunes ont travaillé dans la programmation, dans la création de jeux vidéo, ou encore pour la NASA, ont, selon moi, un point en commun : ce sont des femmes de caractère qui, en refusant le moule, dérangent…
Oui, une femme qui fait des critiques de jeux vidéo s’expose à une grande violence. Il semble qu’en 2017 certains « mâles » insécures ressentent le besoin de faire des menaces à ces femmes. Stéphanie Harvey (développeur chez Ubisofts) explique, sur ce sujet, qu’elle a longtemps hésité avant d’accepter de donner des entrevues à la réalisatrice. Son motif est simple : si elle reçoit des menaces de mort, elle ne sait pas si elle sera encore capable de compétitionner en tant que gamer professionnelle. Et ça, ça serait impensable pour elle.
Mariko, elle, en a reçu des menaces. Et plus d’une fois. Être féministe et critique de jeux vidéo semble être une raison suffisante.
Et il y a toutes les autres femmes : Jamie, qui a créé Black Girl Nerds; Rebecca, UI artist/developper chez
Ubisofts; Mia, qui écrit sur le cosplay, l’acceptation du corps et le véganisme; Anita, ingénieure de l’aérospatiale à la NASA; Rachel, qui est programmeuse; Kim, qui est illustratrice; et « Alice », qui est modèle et photographe. Je prends le temps de les mentionner, car ce sont toutes des modèles de femmes geek qui ont décidé de créer leur carrière en fonction de leurs passions.
Geek Girls est plus qu’une simple tentative de représenter fidèlement les geeks; c’est aussi le reflet, moment par moment, sur la relation poignante d’une réalisatrice envers son sujet. Geek Girls c’est un voyage contemplatif, autoréflexif vu à travers les yeux d’une femme passionnée.
Note : 8/10
* Le film sera présenté à Fantasia le 30 juillet.
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