« Whereas the man is someone who is not able to see half the world, the woman is someone who wants to see only half. »
Yuya Ishii
Le jour, Mika (Shizuka Ishibashi) travaille comme infirmière et, le soir, elle travaille comme hôtesse dans un bar pour hommes. Aveugle d’un œil, Shinji (Sosuke Ikematsu) travaille comme ouvrier sur le chantier de construction des Jeux olympiques de 2020. Jeunes adultes, ils mènent tous deux une existence solitaire. Mais leurs chemins ne cessent de se croiser dans une ville qui compte plus de 10 millions d’habitants. La solitude peut-elle être ressentie à deux?
The Tokyo Night Sky Is Always the Densest Shade of Blue d’Yuya Ishii est basé sur l’œuvre poétique primée, mais pas encore traduite, de Tahi Saihate. De cette poésie, le réalisateur aimait le traitement de l’état émotionnel des jeunes qui vivent à Tokyo, de leur « humeur ». Il souhaitait montrer un malaise social, un sentiment de vide, de crainte aussi devant les différentes catastrophes naturelles.
Je dois dire qu’au début du visionnement, je ressentais presque un étourdissement. Les plans changent beaucoup, bougent. L’écran se divise souvent, on joue avec les lumières. Mais on s’acclimate rapidement, et c’est beau et bien fait. Et quand on regarde le monde à travers le regard de Shinji, l’image n’occupe qu’une moitié de l’écran. L’autre moitié est noire, du fait qu’il est aveugle d’un œil. Ça donne un effet intéressant.
Aussi, à plusieurs endroits, une voix off est ajoutée, celle de Mika, qui réfléchit au sens de la vie, qui laisse vagabonder sa pensée. Mika est très préoccupée par la mort, par l’abandon. Shinji et elle sont des êtres sensibles, qui ne se mêlent pas facilement aux autres. Et ils pressentent les choses, les bonnes comme les mauvaises. Les mauvaises, surtout. La façon qu’ils ont de laisser parler leurs sentiments et ce qui les leur inspire contribuent aussi à la poésie de l’œuvre.
C’est d’ailleurs un aspect de la poésie de Saihate qui avait retenu l’attention du réalisateur : « The images from her poetry that particularly influenced me were those of “foreboding” and “death”. And what came to me right away as I read her poetry was the image of a man who is something of an outcast because he is not allowed to see half the world. The character of a man who is not able to form an accurate picture of the world, and who has to work hard dawn to dusk just to get by, came quickly. The man is the same as me, and as most people who live in Tokyo. » [Les images de sa poésie qui m’ont particulièrement influencé sont celles de « pressentiment » et de « mort ». Et ce qui m’est venu tout de suite en lisant sa poésie était l’image d’un homme qui a quelque chose d’un paria parce qu’il ne voit qu’une moitié du monde. Un homme qui n’est pas en mesure de se faire une image précise du monde, et qui doit travailler dur de l’aube au crépuscule juste pour y parvenir. L’homme est comme moi, et comme la plupart des gens qui vivent à Tokyo.]
Shinji permettra-t-il à Mika de voir le monde autrement, elle qui aimerait tant en voir moins…
Malgré une lourdeur autour de la mort d’êtres aimés ou d’amis, que ce soit par les souvenirs ou dans le moment présent, de même que d’un lot de pressentiments négatifs, on sent que les personnages sont bien vivants. Et qu’ils refusent d’abdiquer.
Par ailleurs, plusieurs plans présentent une jeune femme qui se produit en public, qui chante pour se faire voir, pour se faire un peu d’argent comme tant d’artistes qui jouent dans le métro. Mais tout le monde ignore la jeune femme, préfère ne pas la regarder. Mika et Shinji ont même un peu pitié d’elle. Et si c’était elle qui avait la bonne solution, qui osait sans se préoccuper de rien d’autre que d’atteindre son but et qui y parvenait, qu’adviendrait-il des certitudes?
Seul bémol peut-être quant aux deux séquences animées. Je ne vois pas vraiment leur pertinence. Elle laisse libre cours à l’imaginaire assurément, mais ça détonne, ça brise le rythme instauré jusque-là. Mais le film n’en est pas moins intéressant.
The Tokyo Night Sky Is Always the Densest Shade of Blue est un film poétique comme je les aime, d’une grande beauté visuelle – pensons simplement aux différents plans de Tokyo de nuit, illuminée. Une œuvre qui exige un lâcher-prise, sans chercher la voie à suivre, simplement en se laissant porter par l’image et les mots.
Note : 8/10
* Le film sera projeté à Fantasia les 21 et 25 juillet.
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