« C’est ce qui est fascinant chez certains grands artistes :
beaucoup de femmes les entourent et ont une importance primordiale. »
Étienne Comar
À Paris en 1943 sous l’Occupation, le musicien Django Reinhardt est au sommet de son art. Guitariste génial et insouciant, au swing aérien, il triomphe dans les grandes salles de spectacle alors qu’en Europe ses frères Tsiganes sont persécutés. Ses affaires se gâtent lorsque la propagande nazie veut l’envoyer jouer en Allemagne pour une série de concerts…
Avec Django, Étienne Comar signe un premier film fort, qui montre l’époque de l’occupation allemande en France, mais aussi la réalité tsigane. Mais c’est surtout un film sur la Seconde Guerre mondiale sans Juifs, ni Américains.
Le long métrage se concentre sur la période d’occupation, alors que Django est au summum de son succès. C’est aussi une période intéressante, car le swing (style de musique se rapprochant de celle de Django) était officiellement banni, les Tsiganes étaient persécutés dans toute l’Europe, mais Django ne semblait apparemment pas le voir. Ou, à tout le moins, ne s’en souciait guère.
Pourquoi parler de cette période précise? Le réalisateur explique qu’il « ne voulait pas faire un “biopic” de Django, en survolant toute sa vie, mais trouver le bon axe » : « Cette période de l’été 1943 à la Libération me permettait le mieux d’aborder les thèmes qui me sont propres et me touchent, notamment son aveuglement musical et la prise de conscience d’artiste qui s’en suit. »
C’est donc en se basant sur des faits réels – Django à Paris, le départ et son attente à Thonon-les-Bains, la soirée à Amphion, l’évasion en Suisse, la composition du Requiem – que Comar a tissé son intrigue, en imaginant comment les choses ont évolué. Il est d’ailleurs intéressant de situer l’action d’un personnage tsigane en pleine guerre. Pourquoi? Parce que, culturellement, pour les communautés tsiganes, une guerre n’est jamais la leur. En effet, comme ils n’ont pas de territoire (ils sont nomades), ils n’ont pas d’intérêt à faire une guerre de territoire.
Ce film revêt un certain intérêt aussi parce que nous savons tous que les Juifs ont été exterminés pendant la guerre de 39-45. Mais personne – ou presque – ne sait que les Tsiganes ont été persécutés eux aussi. Il faut dire qu’encore aujourd’hui, ils n’ont pas toujours la place qui devrait leur revenir dans la société.
Django c’est aussi un film sur la musique. Le guitariste nous est présenté, dès le premier plan, comme un artiste avec ses complexités et ses caprices. Mais aussi comme un musicien hors pair.
Mais pour jouer un musicien de ce calibre, qui choisit-on? Un acteur dévoué qui apprendra à jouer l’instrument. Évidemment, on ne peut atteindre ce niveau en 1 an. Mais Kateb a tout de même pris ce temps pour apprendre et perfectionner autant que possible la guitare. Pas dans le but d’être aussi bon que l’était Django, pour comprendre son personnage. Le réalisateur explique à propos du personnage : « Sa caractérisation, sa langue, son amour des habits, son handicap, la communauté tsigane, tout ça est venu de là. Reda est d’une exigence professionnelle terrible, il a complètement joué le jeu. »
Et en termes de musique, les amateurs de jazz, de swing et de guitare sont servis avec ce film. Et, la scène finale offre une magnifique performance sur le Requiem que Django a composé après la guerre. Une œuvre qui n’a jamais été rejouée après la performance de Paris (que l’on voit dans le film).
En passant, la musique de Django et de son groupe est interprétée par le Rosenberg trio.
Pourquoi s’encombrer d’un chien quand on peut avoir un singe…
Le musicien avait un petit singe nommé Joko. Dans le film, on l’utilise de bonne façon. Il devient en quelque sorte une figure symbolique. C’est par lui que Django prendra conscience que cette guerre, c’est aussi celle de son peuple. Les Tsiganes sont d’origine indienne et en Inde, les singes sont extrêmement importants, notamment à travers la divinité protectrice d’Hanuman. C’est l’inverse pour les nazis qui avaient une aversion pour cet animal symbole de dégénérescence.
Voilà pourquoi ce petit camarade devient si important. À sa façon, il servira de levier…
On ne peut parler de Django sans parler des femmes du film. L’artiste est entouré de femmes fortes. À commencer par sa mère, qui est toujours à ses côtés. C’est elle, Negros, qui négocie ses contrats. Et elle a un foutu caractère et une force de persuasion incommensurable. Elle est jouée par Bimbam Merstein, une Tsigane qui avait tenu un petit rôle dans Swing de Tony Gatlif, mais qui n’est pas actrice. Merstein est elle aussi une musicienne et danseuse (comme l’était la vraie Negros), elle a exactement le même profil que la mère de Django.
Il y avait aussi sa femme, Naguine. Bea Palya, qui la joue, est une chanteuse tsigane d’origine hongroise. Elle non plus n’est pas comédienne. Bien qu’elle ne soit pas très présente dans la première partie du film, elle fait sentir sa présence et on comprend à quel point elle permet à Django d’avoir un « endroit » de sécurité. Elle est son roc, son havre.
Et finalement, il y a la maîtresse, Louise. Elle est ce que l’on pourrait appeler un esprit libre. Elle part et revient au gré du vent. Mais elle est aussi une fine stratège. Elle réussit, malgré l’occupation, à se faufiler et à tirer son épingle du jeu. Elle est aussi une admiratrice du musicien et celle qui tentera de l’aider. Elle représente aussi le côté « fiction » du film. Car bien que Django était entouré de femmes et qu’on soupçonne que l’une d’entre elles, au moins, l’aurait aidé à fuir, rien n’est sûr.
Et pour rendre les personnages tsiganes plus réalistes, Comar a insisté pour engager des gens issues de vraies communautés tsiganes. Et, honnêtement, c’est un bon coup!
Ce genre de film sur la musique – qui a d’ailleurs été présenté au Festival international de Jazz de Montréal – nous rappelle à quel point le temps et l’espace sont relatifs. Lorsqu’on s’immerge dans la musique comme celle de Django, le temps et la réalité peuvent disparaître au point d’oublier l’Occupation allemande… le temps d’un disque, le temps d’un concert.
Note : 8.5/10
© 2023 Le petit septième
Je viens de voir le film sur TV5 en ce 2 juin 2024.
J’ai beaucoup aimé en admettant l’importance occupée par la fiction