La jeune Zin-mi, huit ans, fait preuve d’une inébranlable joie de vivre. Étudiante modèle, elle se prépare avec assiduité au sein de l’Union des enfants aux grandes célébrations d’anniversaire de l’ancien leader Kim Jong-Il. Bien entourée par des parents heureux de classe moyenne, sa vie quotidienne est filmée pendant un an… sous haute surveillance.
S’il y avait une couleur pour décrire Under the Sun, ce serait le gris. Et ce n’est pas faute d’imagination de la part du réalisateur russe, Vitaly Mansky. Malgré les rares moments de soleil et les taches de couleur qu’apportent les costumes traditionnels, le film baigne dans la tristesse. Tristesse sur le visage des Nord-Coréens, même les enfants, surtout les enfants. Tristesse de constater de visu la propagande imposée par le régime, l’asservissement des travailleurs, le culte de la personnalité dicté aux enfants dès leur plus jeune âge, l’impossibilité de se rebeller contre ce régime.
Le régime nord-coréen a lui-même proposé au réalisateur de tourner ce film, un tournage qui s’est déroulé sur une période d’un an. Mais il devait s’en tenir au scénario élaboré par les sbires du régime qui ne se gênent pas pour intervenir et faire reprendre et reprendre des scènes pour que tout soit conforme à l’image que le gouvernement veut donner du pays, de l’enthousiasme des travailleurs, du bonheur de ses habitants. Vitaly Mansky a brillamment utilisé ces reprises pour que le spectateur sente la mainmise de l’État dans la vie de ses citoyens : à la maison, à l’école, au travail.
Le personnage principal du film, la jeune Zin-mi, a été choisi avec soin par les « commanditaires » du film : une jolie petite fille de 8 ans, enfant modèle, élève disciplinée et intelligente. Au début du film, elle répond avec assurance aux questions de l’enseignante qui vient de leur faire une véritable leçon de propagande et de vanter, encore une fois, les qualités exceptionnelles de l’ancien leader Kim Jung-Il. L’enfant n’hésite pas à traiter les Japonais de vaurien et de bandit comme le leur a si bien expliqué la maîtresse d’école. Une leçon tirée du livre de propagande qui sert de manuel scolaire.
Le réalisateur n’a pas été libre de choisir quels « moments importants » de la vie de la petite Zin-mi, qui s’apprête à rejoindre l’Union des enfants, il pourrait filmer. Il la suit donc à l’école, dans les fêtes à la mémoire du grand leader, au moment où elle devient membre de l’Union des enfants, aux cours de danse, etc., etc. Quand il lui demande ce que cela signifie pour elle d’appartenir à ce « club sélect », la réponse est troublante et je pèse mes mots : « Quand tu joins l’Union des enfants, tu entres dans l’âge adulte, tu deviens responsable de tes fautes. » À 8 ans!!!
Tout au long du film, j’ai ressenti un malaise dans chacune des scènes où les enfants apprennent que leur grand leader décédé et son successeur Kim Jung-Un portent un grand amour aux enfants et le prouvent chaque jour en les éloignant de tous ces méchants, le reste des habitants de la planète en quelque sorte, mais plus particulièrement les Japonais et les Américains, qui ne leur veulent que du mal. Nous sommes témoins de la construction de la pensée unique de tout un peuple dès le plus jeune âge, de l’impossibilité de s’écarter du chemin imposé.
Certaines des scènes seraient drôles si la situation n’était pas si dramatique, par exemple le discours de ce vieux militaire à la retraite, un peu gaga, bardé de médailles, devant des enfants qui s’ennuient à mourir. L’une des petites peine à garder les yeux ouverts. Le réalisateur a su capter ces images avec finesse. Des images en contrepartie du discours officiel, du script imposé, qui disent mieux que mille mots l’oppression dont sont victimes les Nord-Coréens.
Petit à petit, nous prenons conscience de la pression que subit la petite Zin-mi, de la fatigue qui l’envahit et de la tristesse qui l’habite. À quelques reprises, elle n’arrive plus à dissimuler ses larmes lorsque la leçon de danse devient trop intense ou les cérémonies à la gloire des leaders trop longues. À la fin du film, épuisée, elle pleure devant la fenêtre. L’un des « accompagnateurs » lui propose de repenser à un moment heureux pour sécher ses larmes. Après une assez longue hésitation et devant l’insistance du sbire, elle se met à réciter un poème à la gloire de Kim Jung-Il. L’enfant a véritablement assumé la propagande qu’on lui impose depuis toute petite : le bonheur passe par le culte de l’ancien grand leader. Quand je vous disais que le film baigne dans la tristesse.
Les sujets abordés dans le cinéma documentaire soulèvent parfois chez moi un problème éthique : est-ce que les personnages sont véritablement conscients de ce qu’ils font et des conséquences que cela pourrait entrainer dans leur vie? Dans ce très bon film, la petite et son entourage ont été « utilisés » par le régime. Très probablement sans connaître les véritables enjeux de ce tournage. Le gouvernement nord-coréen et le réalisateur avaient sûrement des visions très différentes du film à venir. Jusqu’où va la responsabilité du réalisateur? Vaste question et pas de réponse simple à la clé. Chose certaine avec Under the Sun, Vitaly Mansky présente un portrait éclairant de la vie des Nord-Coréens, un peuple maintenu dans la noirceur et dans l’ignorance du monde.
Note : 8/10
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