Elle Marja (Lene Cecilia Sparrok), quatorze ans, est une éleveuse de rennes lapone. Face au racisme des années 1930 et les examens de race survenant à son école, elle rêve d’une autre vie. Pour y arriver, elle doit devenir quelqu’un d’autre et briser tous les liens avec sa famille et sa culture.
Sameblod (Sami Blood) d’Amanda Kernell a remporté le prix Europa Cinemas Label à la dernière édition des Venice Days, en Italie. Le film était présenté, les 5 et 6 avril 2017, au Centre Phi de Montréal dans le cadre du Festival de films Venice Days.
Dans ce film, la réalisatrice dresse un portrait dur mais réaliste du racisme. Elle voulait montrer certains Sames (ou Lapons) plus âgés qui ont tout laissé derrière eux pour devenir Suédois. Une question l’habitait alors : qu’est-ce qui arrive quand on coupe tous les liens avec sa culture et son histoire? Ne peut-on jamais devenir quelqu’un d’autre?
La différence a toujours été source de frayeur. Les humains ont peur de ceux qui ne leur ressemblent pas, qui ne pensent pas de la même façon. Je généralise, bien sûr, mais avec toutes les guerres de religion, culturelles ou politiques, je suis tout de même assez près de la vérité.
Les Sames ont longtemps été persécutés, et ils le sont certainement encore. Dans les années 1930, les enfants sames étaient envoyés en pension, loin de leurs familles qui vivaient dans les montagnes, pour avoir une éducation de base. De base, parce qu’ils n’avaient pas la possibilité de poursuivre d’études supérieures. Leur cerveau n’en avait pas la capacité, croyait-on.
Une des scènes difficiles du film est celle où l’on prend les mesures crâniennes des jeunes filles et qu’on les force à se déshabiller pour les photographier. Leur physique diffère de celui des autres Suédois, mais leur rythme de vie et le lieu même où ils vivent (en altitude) conditionnent leur corps. Quand Elle Marja se joindra à un groupe de Suédoises lors d’un cours de gymnastique, la différence sera d’autant plus flagrante. La jeune Same est beaucoup plus petite et trapue.
Les regards, les jugements, la curiosité des gens face aux Sames les font sentir comme des bêtes de cirque. Elle Marja refuse cette condition, mais que peut une jeune femme contre un groupe de six jeunes hommes, une jeune femme contre le système en place, une jeune femme contre son bagage génétique…
En tournant le dos à sa communauté, Elle Marja renforce d’une certaine manière les préjugés à l’encontre des siens. Elle s’en dissocie jusqu’à la négation de qui elle est.
Le film rend bien les émotions de la jeune femme : sa détermination, son désespoir, sa joie, sa souffrance. Elle aime les siens, mais ne veut pas appartenir au groupe. Si elle part, elle doit couper les ponts. Comment peut-on se reconstruire seul ailleurs?
Mais les préjugés ont la vie dure. Que fait-on quand, publiquement, on vous supplie d’interpréter un chant traditionnel (joik ou yoik) de votre communauté? Si l’on ne le fait pas, on est jugé. Mais si on le fait, ne l’est-on pas tout autant.
La construction de Sameblod est cyclique; le film s’ouvre et se clôt sur une femme âgée qui se doit se rendre aux funérailles de sa sœur. On revient ensuite dans le temps, on nous raconte son histoire. On rencontre Elle Marja et les autres jeunes de sa communauté, leurs difficultés et on prend connaissance du lot de préjugés dont ils sont victimes.
« Sami Blood is a declaration of love to those who left and stayed – told from Elle Marja’s perspective. I wanted to make a film where we see the Sami society from within, a film where we experience this dark part of Swedish colonial history in a physical way. A film with yoik and blood. » [Sami Blood est une déclaration d’amour à ceux qui sont partis et à ceux qui sont restés – du point de vue d’Elle Marja. Je voulais faire un film où nous voyons la société lapone de l’intérieur, un film où nous expérimentons cette partie sombre de l’histoire coloniale suédoise d’une manière physique. Un film avec le joik et le sang.], expliquait Kernell.
L’amour, la haine, la joie et la tristesse traversent Sameblod, le tout avec une bonne dose de douleur et de culpabilité.
La violence n’engendre que la violence; la haine n’engendre que la haine; la douleur n’engendre que la douleur.
Note : 8/10
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