Sieranevada – histoire ou Histoire?

Affiche - SieranevadaQuelque part à Bucarest, trois jours après l’attentat contre Charlie Hebdo et quarante jours après la mort de son père, Lary (Mimi Branescu) – 40 ans, docteur en médecine – va passer son samedi au sein de la famille réunie à l’occasion de la commémoration du défunt. L’évènement, pourtant, ne se déroule pas comme prévu. Les débats sont vifs, les avis divergent. Forcé à affronter ses peurs et son passé et contraint de reconsidérer la place qu’il occupe à l’intérieur de la famille, Lary sera conduit à dire sa part de vérité. 

Véritable réflexion sur le monde, Sieranevada – 4e long métrage de Cristi Puiu – se déroule à huis clos dans un appartement. Un appartement qui, d’une certaine façon, représente la société, à échelle réduite. La caméra reste généralement fixe faisant seulement des panoramiques de gauche à droite afin de suivre un personnage à la fois. Puis, lorsque l’action change de pièce, la même technique est employée. Ça donne un effet intéressant. On a l’impression qu’une personne reste là, debout, à regarder ce qui se passe. Peut-être est-ce là le défunt qui observe sa propre commémoration (la croyance orthodoxe veut que le mort reste auprès des siens pendant 40 jours après le décès, de là la commémoration après 40 jours).

Sélectionné en Compétition officielle au 66e Festival de Cannes et présenté en première nord-américaine au Festival du film de Toronto, puis projeté lors du dernier Festival du nouveau cinéma, en plus d’avoir remporté le prix La Vague pour le meilleur long-métrage de fiction international dans le cadre du 30e Festival international du cinéma francophone en Acadie, Sieranevada, film de réalisme social, représentera la Roumanie dans la course à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.

Amateur de films lents avec peu d’action mais de bons dialogues, je dois avouer que Sieranevada ne m’aura pas déçu. Mais attention! Une base en politique étrangère, voire en politique d’Europe de l’Est, peut s’avérer nécessaire.

L’appartement

Ici, l’appartement est presque un personnage en soi. À l’exception de 2 scènes, tout le film se déroule à l’intérieur de ce petit appartement de Bucarest. Les déplacements des personnages à l’intérieur de cet appartement sont tout aussi importants que les dialogues. Chaque pièce a une certaine importance. Chacune a un rôle précis dans le rituel funéraire. La salle à manger est un lieu censé être neutre, alors que les salles de bain sont des endroits qui permettent aux personnages de s’évader…

Le discours historique

Tante Evelina - Sieranevada
Tante Evelina

Celui-ci passe en grande partie par deux des personnages : Sebi, le petit fils du défunt, convaincu que le monde tourne autour d’une série de complots; et celui de Tante Evelina, ex-militante du parti communiste de Ceausescu et n’acceptant toujours pas la chute du communisme en Roumanie. Ce sont d’ailleurs ces deux personnages qui amènent l’humour dans le film de Puiu.

Mais Sieranevada amène aussi un questionnement à savoir : qu’est-ce que l’Histoire? L’Histoire (avec un grand « H »), n’est-elle pas, en réalité, une simple histoire qu’on se fait raconter? Par exemple, c’est exactement ce qui arrive lorsqu’on se demande qui sont les gentils et qui sont les méchants dans une guerre. Le réalisateur explique d’ailleurs sa vision sur ce sujet lorsqu’il dit : « Au moment où on prend conscience de nous-mêmes, vers l’âge de dix ans, on est déjà éduqué, formaté par l’histoire de notre pays. On va voir les choses d’une manière déjà très balisée. Tout cela mène vers l’inertie. On est prêt à accepter une vérité donnée. On ferme les yeux face aux erreurs possibles. C’est le prix pour devenir un membre de la communauté, en être accepté. »

Mais revenons à nos deux personnages… Tante Evelina permet au réalisateur de montrer qu’a chaque « histoire », il y a deux visions. Il y a, à un moment donné, une très belle discussion sur ce sujet, dans la cuisine. Et il y a Sebi. Il est perturbé par tout ce qui se dit autour du 11 septembre 2001, et il a raison de l’être dans le sens où il faut discuter de tout. Mais lorsqu’il construit son raisonnement avec des éléments conspirationnistes trouvés sur internet, ça dérape. Et comme le dit Puiu : « généralement, on ne sait jamais qu’une parcelle de la réalité dans l’Histoire. On ne peut pas trouver de réponses définitives. Au fond, la fiction la plus présente dans notre vie, c’est l’Histoire, l’Histoire telle qu’on la raconte à l’école. Moi, je suis très bien placé pour parler de ça, parce que j’ai appris à l’école une certaine Histoire durant le communisme. Le Mur de Berlin est tombé quand j’avais vingt-trois ans. Avec lui une Histoire a disparu, et aussitôt une autre Histoire a surgi, une autre version des faits. Des choses que je ne connaissais pas, moi qui ai beaucoup aimé l’Histoire. J’étais vraiment bouleversé. »

Les rituels

Sieranevada - scène de cuisine
Des membres de la familles à table

Bien que la commémoration du décès soit une excuse pour traiter des relations familiales et sociétales, il n’en reste pas moins que les rituels sont montrés de façon réaliste, avec toute leur importance. On pense entre autres à la préparation du repas, ou encore à la bénédiction faite par le pope. D’ailleurs, personne n’a le droit de toucher à la nourriture avant que cette bénédiction ait été faite. Il y a aussi la passation de l’habit « propre » du grand-père au petit-fils. Il est très intéressant pour un Nord-Américain de voir tout ce côté traditionnel de la commémoration du défunt, à la roumaine. De voir qu’il y a, tout d’abord, l’enterrement avec la réunion qui suit (comme dans la tradition catholique), puis 40 jours plus tard, la famille se réunit à nouveau pour la commémoration, puis une autre fois quand ça fait 1 an. Et une autre commémoration a aussi lieu après 7 ans.

Le titre

Bon… Je dois avouer que depuis que j’ai vu le titre, je me questionne à savoir ce qu’il signifie. Et, puisque je suis dans les aveux, je dois dire qu’une fois le visionnement terminé, je n’avais toujours pas la réponse. Heureusement, j’ai eu accès à une entrevue avec le réalisateur. Et honnêtement, je ne peux qu’approuver la raison de son choix. Je vous laisse donc avec son explication :

« C’est venu d’une réflexion : “pourquoi selon les nationalités change-t-on les titres du film?” Ça m’énerve tellement. Au départ je me suis même dit : “je vais faire moi-même les titres pour chaque langue”. Et puis j’ai tranché pour un titre qui ne peut pas être changé. Ce qui est intéressant dans Sieranevada c’est de voir que le nom habituellement est séparé : Sierra Nevada. Mais en roumain normalement, c’est en un mot, comme quand on le prononce. J’ai altéré le titre en y mettant un seul “r”, pour qu’on me dise : “mais ça ne s’écrit pas comme ça”. Alors comment ça s’écrit? Et en japonais? Et en géorgien? »

Note : 8/10

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