Rafaël Ouellet (Camion) a toujours écrit les scénarios des films qu’il réalise. Pour son sixième long métrage, Gurov & Anna, il travaille à partir du scénario de Celeste Parr. Celui-ci était en fait le mémoire de maîtrise de la scénariste anglo-québécoise. Ouellet a dû retirer le cadre plus théorique afin d’ajouter plus d’émotions à l’ensemble. Le film est tourné en anglais et en français, dans le Mile-End.
Ben (Andreas Apergis) est un écrivain devenu enseignant, faute de mieux. Au cours de ses années d’enseignement, il a développé un intérêt presque obsessif pour « La Dame au petit chien » de Tchekhov, qui raconte la transformation d’un adultère en amour véritable. Lorsque sa femme Audrey (Marie Fugain) se rend à Paris pour rencontrer l’éditeur de son premier roman, Ben s’engage dans une liaison avec Mercedes (Sophie Desmarais), une jeune étudiante francophone. La situation devient très rapidement hors de contrôle. Au final, le fantasme tchékhovien de Ben ne laissera personne intact.
Avant d’aller voir le film, j’avais lu la nouvelle de Tchekhov. Et bien que cela ne soit pas essentiel, j’étais bien contente de l’avoir fait. Le personnage de Ben éprouve le même mal-être (dans son couple), le même sentiment de solitude (et cela, bien qu’il ne soit pas seul) que Gurov. Ben ne semble plus faire la part des choses entre la littérature, ici la nouvelle de Tchekhov qu’il admire, et sa propre vie. Et un glissement se produit. Il se laisse tenter par une aventure, sans réaliser que d’ouvrir cette boîte de Pandore lui apportera plus de souffrance que de bonheur.
Les deux ou trois scènes d’amour sont particulièrement belles. Il est rare dans le répertoire cinématographique québécois de voir de telles scènes de sexe, réalistes et bien filmées. Et elles ne sont pas vulgaires pour autant. Par ailleurs, la bande sonore est très bonne.
Le traitement de l’image est intéressant, notamment quant aux profondeurs de champ. À plusieurs reprises, la caméra est fixe et la profondeur de champ est réduite. Ainsi, si les personnages bougent, ils sont dans un flou jusqu’à ce qu’ils reviennent à leur point de départ, là où est le focus.
Le jeu des acteurs était somme toute convaincant. Le rôle de Mercedes a représenté un certain défi pour Sophie Desmarais. Personnage de séductrice, Mercedes joue beaucoup; elle manipule les autres pour arriver à ses fins. Andreas Aspergis, plus habitué à jouer des personnages fantastiques dans des productions américaines, a dû apprendre à jouer un homme ordinaire.
« Gourov vivait deux vies, l’une visible, que tous voyaient et connaissaient si elle les concernait, pleine de vérité conventionnelle et de mensonge conventionnel, ressemblant parfaitement à la vie de ses amis et connaissances, et une autre, qui se déroulait dans le secret. »
Gurov & Anna ou quand la littérature se superpose au réel.
Note : 8/10
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