À l’hiver 2010, au théâtre Denise-Pelletier, Robert Lepage présentait sa pièce Lipsynch, véritable fresque humaine qui durait près de neuf heures. Oui, oui, neuf heures. Ce devait être une expérience théâtrale incroyable. C’est à partir de cette pièce qu’il a écrit le scénario de Triptyque, qu’il a coréalisé avec Pedro Pires. Trois destins liés, trois histoires qui s’imbriqueront : celle de Michelle (Lise Castonguay) qui est schizophrène, celle de Thomas (Hans Piesbergen), le chirurgien de Marie, et celle Marie (Frédérike Bédard), la sœur de Michelle, qui est chanteuse et qui subit une opération au cerveau. Trois histoires, trois villes (Québec, Londres et Montréal), trois rapports au cerveau humain (la folie, l’étude du cerveau et la quête de souvenirs perdus). Les trois acteurs jouaient également dans la pièce en 2010.
Dans la fresque du plafond de la Chapelle Sixtine, plus particulièrement dans la Création d’Adam, Thomas ne peut s’empêcher de voir, là où se tiennent Dieu et ses anges, les contours du cerveau humain. Cette image est extrêmement puissante. Le cerveau humain n’aurait pas été créé par Dieu; au contraire, c’est le cerveau qui aurait créé Dieu. Il perçoit le monde d’un point de vue scientifique, mais il est très sensible à l’art. Michelle a quant à elle un rapport trouble avec la religion. Dans l’une de ses visions, elle revoit un mur de sa maison d’enfance, où l’on reconnaît les contours d’un crucifix sur le papier peint décoloré. Dans une autre, un religieux avance vers elle ce qui la pousse à fuir. Les marques religieuses semblent lui faire peur, mais lorsqu’elle rejoindra sa sœur Marie à l’église, elle ouvrira les portes toutes grandes et rentrera avec détermination. Une attitude surprenante en regard de cette femme discrète. Nous n’obtenons pas de réponse; le personnage garde ses secrets et son mystère.
Dans tout le film, il y a un grand souci du détail. Par exemple, dans une scène, les deux sœurs sont assises dans la salle d’attente de la gare. Depuis son opération, Marie a des trous de mémoire. Elle demande à Michelle si elle se souvient de la voix de leur père, décédé il y a de nombreuses années. Marie, elle, l’a oublié et elle en souffre terriblement. Quand elles se lèvent, on remarque une fissure sur le mur derrière les bancs, à l’image de celle dans la tête de Marie. Dans une autre scène, celle qui fait la transition entre le deuxième et le troisième tableaux, un chantier de travaux routiers (marteau piqueur et scie à béton) rappelle l’opération sur le cerveau de Marie, opération qui nous est entièrement montrée.
Les mots et la poésie sont présentés comme une échappatoire, une libération des maux qui nous habitent. Michelle écrit des poèmes et travaille à mi-temps dans une librairie de livres usagés. Elle rencontre un étudiant à qui elle fait découvrir l’œuvre de Claude Gauvreau. N’ayant pas les moyens d’acheter le livre réunissant tous les textes de l’auteur, Michelle prête l’ouvrage au jeune homme afin qu’il connaisse à son tour la force des mots. Outre les mots, les sons sont aussi chargés d’émotion. Michelle perdra temporaire l’usage de la parole. Ne pouvant qu’émettre des sons, elle les utilise pour extérioriser sa souffrance. Sa gestuelle lors de son chant est aussi extrêmement parlante. La musique est d’ailleurs très présente dans le film.
En quête de leur identité, les personnages devront accepter la maladie, confronter leurs souvenirs et gérer leurs peurs. Triptyque est une œuvre d’une grande beauté où poésie, musique et science cohabitent!
Note : 9,5/10
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