Le goût d’un pays c’est la rencontre de Gilles Vigneault et de Fred Pellerin au temps des sucres. C’est un documentaire choral qui raconte le pays à travers un des rituels les plus emblématiques du Québec. C’est un hymne au sirop d’érable et au peuple qui le produit. Dans la lumière franche et inspirante du printemps, une goutte de sève perle sur la pointe du chalumeau. Les deux poètes la cueillent et filent la métaphore. La tradition des sucriers prend l’allure de vibrants tableaux. La richesse des mots d’ici et la puissance des gestes simples laissent entrevoir la beauté et la fragilité de notre culture.
Le documentaire Le goût d’un pays de Francis Legault a remporté le Prix du public aux RIDM 2016. Le sujet est intéressant, et plusieurs plans sont très beaux. Les plongées et les contre-plongées montrent, parfois avec tendresse parfois avec admiration, la nature et le travail des sucriers.
Le goût du Québec serait ainsi lié au sirop d’érable. Qui d’ailleurs n’a jamais offert une conserve de sirop à un étranger pour lui faire goûter le Québec? Pour ma part, j’en ai toujours une dans mes valises quand je visite des amis ou des connaissances à l’étranger.
Plus qu’un film sur le sirop, c’est l’identité québécoise qui est au cœur du propos par l’entremise d’une tradition québécoise : le temps des sucres. Outre la cueillette de l’eau d’érable et la fabrication du sirop, c’est un moment où familles et amis se réunissent pour prendre un copieux repas de cabane à sucre.
Le temps des sucres est très court. C’est un temps déterminé auquel il faut se soumettre. Même si l’on veut commencer les sucres telle ou telle semaine, c’est la température (les nuits froides et les journées chaudes) qui dicte les règles. C’est ainsi au printemps que les érables coulent, période de renouveau après le long et froid hiver québécois.
Dans le film, cette période est mise en relation avec la question nationale. Les cicatrices des arbres, celles qui témoignent des récoltes précédentes, sont à l’image des cicatrices d’un peuple. C’est dans les cicatrices qu’on apprend son histoire. Gabriel Nadeau-Dubois, l’un des intervenants, dit pour sa part que les blessures peuvent engendrer une énergie productive, une énergie qui conduira à un changement social. Mais les Québécois sont-ils peureux?
« Comme pour toutes sociétés, langues, espèces animales ou végétales, je pense que la beauté de la culture québécoise réside en grande partie dans son improbabilité et son extrême fragilité. Par la force et la singularité du rituel des sucres, Gilles [Vigneault] et Fred [Pellerin] révèlent la vibrante richesse d’un peuple au-dessus duquel plane le spectre de sa finalité », expliquait le réalisateur.
C’est dans le même sens que Vigneault et Pellerin discute d’une phrase célèbre du roman Maria Chapdelaine de Louis Hémon : « Ces gens sont d’une race qui ne sait pas mourir… » Mais est-ce assez de ne pas vouloir mourir? Peut-être voudrait-on davantage être un peuple qui existe, renchérissent-ils.
Fred Pellerin a un langage coloré, savoureux. J’adore l’entendre conter. Il a un don pour cela. Et il met sa couleur dans ce documentaire, en abordant notamment la question linguistique. Si on dit aux Québécois qu’ils parlent mal, est-on en train de les inviter à « se fermer la gueule »? Les différents intervenants invitent ici le peuple québécois a s’affirmer, à se rassembler, à exister en tant que nation forte et indépendante, et à être fier des richesses de chez nous.
Et si on misait sur ce qui rassemble plutôt que ce qui nous divise, tout en tenant compte de nos traditions? Il ne faut pas ignorer le passé si l’on veut aller de l’avant. Il faut connaître notre histoire, nos cicatrices, pour avancer avec assurance et solidité.
Le goût d’un pays, c’est le Québec, c’est l’identité québécoise, c’est une volonté d’exister, c’est un message d’espoir. Les séparatistes seront convaincus, mais qu’en sera-t-il des autres? Mais peu importe les allégeances politiques, ce film est représentatif de qui nous sommes, de l’histoire des Québécois.
Note : 8/10
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