Michel Gondry relevait tout un défi en choisissant d’adapter le célèbre roman de Boris Vian : L’écume des jours. Non seulement le texte a connu une grande popularité, mais il s’agit d’un univers déjanté qui se veut tout de même près de notre réalité. Jaloux d’être le seul qui ne connaisse pas l’amour, Colin (Romain Duris) exige de tomber amoureux. Par l’entremise de ses amis, il rencontre la belle Chloé (Audrey Tautou) qu’il épousera. Malheureusement, sa jeune femme tombe malade : un nénuphar lui pousse dans le poumon droit. Colin tente par tous les moyens d’aider Chloé à recouvrer la santé. Duris et Tautou n’en sont pas à leur première collaboration (pensons à L’Auberge espagnole) et ils sont excellents.
L’écume des jours (2013) s’adresse à un public averti. Il faut accepter les folies de Vian et de Gondry (qui a également réalisé Eternal Sunshine of the Spotless Mind, 2004). L’essentiel du roman se retrouve dans le film, mais le réalisateur a tout de même pris quelques libertés. Chick (Gad Elmaleh), le meilleur ami de Colin, est un fan inconditionnel de Jean-Sol Partre (on entend bien sûr Jean-Paul Sartre). Ne pouvant inclure toutes les scènes qui permettent de comprendre l’intensité de la dépendance de Chick pour Partre et son œuvre, Gondry le présente comme un junky, se droguant littéralement de l’œuvre de son héros. Par ailleurs, le roman est composé tout au long du film par des dizaines de personnes qui écrivent quelques mots, des bouts de phrases, sur des machines à écrire qui défilent devant eux et que la personne suivante continue, à la manière du travail à la chaîne.
Les effets spéciaux du réalisateur sont savoureux. Plutôt que de faire des effets entièrement numériques qui se veulent réalistes, il produit des effets plus théâtraux, proche du bricolage. On utilise un bout de chiffon pour recréer une mare de sang, les rayons du soleil ressemblent à des pailles mises bout à bout, les fenêtres qui s’obstruent au fur et à mesure de la maladie de Chloé le sont par une fibre textile… Et la souris est un homme déguisé de qui on ne tente même pas de cacher le visage. Cela permet à Michel Gondry d’amener son univers particulier dans le monde réel plutôt que de nous mener dans un monde fantastique.
Cette œuvre est aussi très actuelle par les thèmes qu’elle aborde. On y montre une forte dépendance par les abus de Chick; la maladie de Chloé s’apparente tout à fait à un cancer du poumon (si on fait abstraction du fait qu’on lui retirera un nénuphar de plus d’un mètre et que le traitement pour vaincre la plante consiste à l’empêcher de fleurir en exposant Chloé à d’autres fleurs); les soucis financiers de l’un et de l’autre personnages… Un clin d’œil est fait au roman par le choix de l’interprète de l’antiquaire : Bobby Few. Dans le roman, Vian réfère souvent à des jazzmen américains. Bobby Few est un jazzman né en Ohio qui a plus de 50 ans de carrière. Outre sa scène au pianococktail, où il concocte des cocktails pour le moins intéressants, il reviendra chanter à la clôture du film.
L’écume des jours, malgré son univers fantaisiste, n’est pas un film léger. La première moitié est plutôt gaie et suscite les rires, mais lorsque la situation des personnages change et que le drame envahit leur vie, malgré l’excentricité des propos, le côté dramatique est poignant. Michel Gondry a bien su rendre l’univers de Vian. L’écume des jours est une expérience en soi. Il faut être prêt à se laisser mener dans un monde où ce qui nous apparaît inimaginable est chose banale.
Note : 8,5/10
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Il sera intéressant de comparer les deux adaptations de L’ÉCUME DES JOURS puisque celle de Charles Belmont de 1968 sortira en DVD à l’automne.
Casting : les très jeunes Marie-France Pisier, Jacques Perrin et Sami Frey.
Sélection officielle au Festival de Venise 1968.
Prévert en disait : « Belmont a gardé le coeur du roman, ce film est merveilleusement fait. En plus, c’est drôle ! »
Renoir : « Ce film a la grâce »
En décembre 2011 Télérama écrit : « Une comédie solaire délicieusement surréaliste. Adapter Vian ? un tabou dont Charles Belmont est joliment venu à bout ».
En juin 2012 Michèle Vian déclare au Monde : « C’est très joli. Charles Belmont avait compris quelque chose. Il était fidèle à l’esprit. Et la distribution est éclatante ».
Et le Passeur critique le 24 avril 2013 : « Cette fraîcheur de ton offre au roman original la traduction à l’écran d’une fuite existentielle débordante de vie magnifiée par une bande son jazzy d’une élégance rare et d’un montage à son unisson. Élégant le film l’est tout du long dans un dégradé de nuances. »
On peut voir photos, extraits et avis critiques sur le blog : L’oeuvre du cinéaste Charles Belmont charlesbelmont.blogspot.fr
Il sera effectivement intéressant pour nous, lorsque le DVD sera disponible au Québec, de voir cette adaptation de Belmont que nous pourrons alors commenter. Merci de nous avoir communiqué l’information.