« Je ne te dois rien. »
Tandis qu’il pédale dans les rues de Paris pour livrer des repas, Souleymane répète son histoire. Dans deux jours, il doit passer son entretien de demande d’asile, le sésame pour obtenir des papiers. Mais Souleymane n’est pas prêt.
L’histoire de Souleymane, film primé dans la section Un Certain Regard par le Prix du Jury ainsi que par le Prix du Meilleur Acteur au dernier Festival de Cannes, est le troisième long-métrage de fiction de Boris Lojkine, réalisateur français venu du documentaire. Par ailleurs normalien et agrégé de philosophie, il a enseigné quelques années avant de se décider à voyager en Asie, puis en Afrique. Il y découvrira notamment une appétence pour la réalisation, d’abord centrée sur les thématiques du voyage, de l’aventure ainsi que du déracinement.
Souleymane, interprété par le magistral et débutant Abou Sangare, acteur non professionnel découvert lors d’un casting à Amiens, est originaire de Guinée et livreur de repas à Paris. Il s’y déplace à vélo, subissant un rythme forcené, ainsi que des remarques désobligeantes d’employeurs et de clients parfois désagréables, voire hostiles.
La caméra suit au plus près ses déplacements, à vélo, en car ou en métro. Les moments où Souleymane peut se poser sont rares, voire absents, le jeune homme devant à chaque fois soit satisfaire une requête pour son travail, soit préparer son entrevue à l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides). La course contre la montre ponctue et rythme ses journées. Souleymane se fait par ailleurs aider par des escrocs à la petite semaine pour la préparation de son entrevue, contre rémunération. Il dort dans un dortoir au sein d’un centre pour réfugiés, et doit prendre un car à la fin de sa journée de travail, alors que ses livraisons dépassent parfois l’horaire qui lui permettrait de rentrer. Sans cesse, il se heurte à des prérogatives, malmené par cette situation incertaine.
La mise en scène de Boris Lojkine se concentre non seulement sur le rythme des livraisons et des répétitions orales de Souleymane en vue de cet entretien décisif, mais également sur la multiplicité des visages qu’il doit revêtir afin d’avoir une chance de s’en sortir. En effet, étant demandeur d’asile, il ne peut s’identifier sur l’application de livraisons, procédure requise de façon régulière au cours de ses tournées. C’est sous le nom et le visage d’Emmanuel, son supérieur qui lui « prête » son identité, qu’il pourra accomplir ses tâches.
En plus de cela, Souleymane prépare son entrevue de façon particulière : il répète un discours fabriqué de toutes pièces, revêtant alors une figure presque invisible au sein d’autres demandeurs d’asile, vivant la même situation. Il doit alors apprendre et mémoriser des faits et dates qui ne le concernent pas directement. Enfin, son visage lors de la dernière scène révèle un nouvel aspect de lui-même, davantage proche de son identité, éléments que nous ne dévoilerons pas ici.
L’histoire de Souleymane consiste en une tranche de vie, un instantané de trois jours où le temps semble filer à toute allure. Le réalisateur s’est inspiré du réel des demandeurs d’asile ainsi que des livreurs de repas afin de créer cette fiction fort documentée.
La mise en scène, par la façon qu’elle a de suivre Souleymane dans ses déplacements, met en exergue la brutalité du quotidien pour ces jeunes travailleurs, qui ne cessent de se heurter à des contraintes, voire des impossibilités grandissantes. Un grand film donc, qui, nous l’espérons, permettra de mieux saisir la difficulté d’être accepté au sein d’un pays où le système bureaucratique prend parfois le pas sur l’humain et ses difficultés à s’insérer. Ajoutons enfin qu’Abou Sangare, également originaire de Guinée, vit une situation assez similaire à celle de Souleymane. Après avoir connu trois refus de titre de séjour en France, un nouvel examen de sa situation a été requis au cours de ces derniers mois. Le jeune homme serait toujours en attente de statut au sein du territoire français.
L’histoire de Souleymane est présenté au Festival Cinemania les 11, 12 et 17 novembre 2024.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième