« — Us, being here, living here for years, do we feel we belong here?…
— I think (also) it’s the first generation immigrant curse, I don’t belong here…
— And I don’t belong there. »
[— Nous, étant ici, vivant ici depuis des années, avons-nous le sentiment d’avoir notre place ici?…
— Je pense (aussi) que c’est la malédiction des immigrés de première génération, je n’ai pas ma place ici…
— Et je n’ai pas ma place là-bas.]
Avec beaucoup de franchise et autant de nuance, Les femmes arabes disent ÇA? brosse un portrait sans précédent de femmes arabes vivant au Canada. Allant à l’encontre des idées reçues, le récit révèle les expériences et le point de vue uniques de huit femmes arabes qui partagent leurs opinions, leur cuisine et leurs éclats de rire. Au rythme de la poésie et de la musique, elles s’expriment sur le féminisme, la politique, l’exil et leur désir d’appartenance.
Nisreen Baker, avec son documentaire Les femmes arabes disent ÇA?, qu’elle a écrit et réalisé, brise les préjugés qui entourent les femmes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Baigné dans une ambiance acceptante et sororale parmi les huit panélistes, le film amène à contempler des êtres au féminin brisant les tabous et les préjugés de notre société occidentale face à ces différentes cultures qui l’habitent. À ça se recoupe la sensation d’être chez matante ou grand-maman; où, quelquefois trop confortable, nous nous endormons sur le divan.
L’entrée en matière se fait avec Nermeen qui arrive en avion au Caire, en Égypte. Elle a la jambe blessée et confie (ce qui est peut-être un semblant de ligne directrice pour le documentaire) qu’elle aurait bien besoin de béquilles, car le support tend à symboliser ce qui unit chaque membre du groupe qu’on s’apprête à côtoyer. Une petite minute de présentation solidifie cette hypothèse lorsqu’elle mentionne sa mère malade et l’importance de partager le fardeau des êtres aimés; confession qu’elle poursuit en expliquant devoir retourner à Edmonton, au Canada. Par contre, elle pourra retrouver ses sœurs de cœurs avec qui elle a pu construire un véritable noyau de paix soudé par l’humour et la compréhension mutuelle (et de bonnes cuisinières apparemment). Un lien que même la pandémie ne sut ébranler.
Les évènement de 2020 ont obligé de confiner les huit femmes chez elles, mais à la place de nous offrir le visuel des cours statiques d’université par zoom, les 10 à 15 premières minutes sont énergisantes et incitent à vouloir en connaître davantage. Suivent ensuite les joies de pouvoir se retrouver une fois les restrictions gouvernementales levées; chaleureuses retrouvailles de cette famille secondaire dans un salon douillet recouvert de tapis et de tissus où ces femmes arabes de différentes nationalités peuvent enfin se réunir. Si le début démontre une certaine adresse à maintenir l’intérêt, il est fâcheux d’en faire, par la suite, un constat inverse; plus le documentaire avance, plus il se pétrifie et devient statique. À ce moment, je me rappelai qu’il est bon de rendre visite à sa grand-tante, qu’on ne lui rend pas souvent visite; on y retourne lorsqu’on oublie pourquoi nous n’y allions plus, on y retourne puis rien n’a changé. Là, on se souvient.
Les échanges entre ces femmes sont colorés et captivants, c’est dommage de voir comment le montage affecte la dynamique du visionnement et rend le documentaire difficile à regarder sans s’ennuyer. Changer de lieux, ne serait-ce qu’avec des images d’archives publiques (n’importe quoi à part les mêmes plans d’ensemble et plans rapprochés pendant des dizaines et des dizaines de minutes). Le zoom avait l’excuse d’être un zoom (en plus que là, étrangement, on y insérait plusieurs points de vue qui savaient capter l’attention. Allez savoir), mais, en dehors de cela, le reste du documentaire n’a pas à être confiné par la même restriction dans la variété de ses plans et d’angles de vues possibles.
La personne qui réalise un documentaire ne s’adonne pas uniquement à rapporter les faits; ce n’est pas que du journalisme où l’on se doit de faire un constat des choses comme elles sont, et cela, le plus objectivement possible. Le documentaire impose aussi d’avoir un regard, une vision, un chemin à prendre qui guide son public au même titre que son film; en d’autres termes, aider à mieux comprendre la raison d’entreprendre la réalisation de ce projet. Lors des 1h19 minutes, on parle. Bien sûr, tantôt elles abordent des sujets chauds, puis elles discutent et ont des propos dont on s’investit en majorité facilement; mais de quoi parle-t-on au final?
Un documentaire, c’est aussi un film, et un film demande une direction, un rôle qui passe entre trois paires de mains avant sa version finale; scénariste, réalisateur, monteur. Les derniers qui doivent déterminer le cours de ce type d’ouvrage cinématographique sont ses spectateurs. Rencontrer des gens est certes agréable, mais l’auditoire aussi veut les connaître en rapport avec le documentaire. Chaque panéliste devient en quelque sorte un personnage et chaque personnage à son rôle à jouer pour amener plus de précision et parfois même changer de point de vue sur certains sujets clefs. Si l’objectif visé est de nous faire entendre tout simplement ce qu’elles disent ces femmes arabes, alors c’est réussi, mais sans être exceptionnel.
Il peut sembler parfois que la critique soit perçue comme amère et froide envers son sujet, mais elle est, somme toute, valable tant qu’elle est constructive ou justifiée. Le but ici n’est pas de couler un projet qui a dû nécessiter du temps et de l’investissement personnel de chacune qui y a participé. L’important reste tout de même de souligner ce qui pourrait être amélioré pour le futur. Ce que Madame Baker nous livre n’est pas mauvais, il manque simplement de travail et de peaufinement. Les panélistes n’ont pas grand-chose à se reprocher, elles sont magnifiques et courageuses de se révéler avec sincérité.
Les femmes arabes disent ÇA? supplie pour un repassage. La majorité des points faibles ne viennent pas de devant, mais bien de derrière la caméra, spécialement au niveau du scénario et du montage. Le matériel de base était parfait pour un bon deuxième tournage, ainsi se donnant la capacité de sélectionner les thématiques à aborder avec soins; prendre le temps avec chacune et préciser certains aspects; placer des images de références ou tout simplement changer de lieu plus fréquemment.
Il serait tout de même intéressant de connaître leurs pensées face aux récents développements en matière de conflits internationaux, car il est effectivement important de donner une voix publique à ces Québécoises et ces Québécois que l’on considère généralement à tort déjà connaître. Mes suggestions, si on me le permet, seraient de réduire la longueur du visionnement tout en multipliant la variété des plans et des images dans les scènes. Il arrive que la force que l’on doive investir pour redoubler d’efforts ne semble pas en valoir la chandelle, mais sachez une chose (et peut-être ne suis-je pas sage de le dire avant ma mort), que le travail est un trésor.
Bande-annonce
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