「世の中っていつからこんなに狂ってんだろ。」
« Depuis quand le monde est-il devenu si fou? »
Une jeune fille, Miu, disparaît subitement. Au moment de la disparition, sa mère, Saori (Satomi Ishihara), assistait à un concert pop et avait laissé sa fille sous la garde de son frère (Yusaku Mori). Des rumeurs cruelles concernant Saori commencent à se répandre sur Internet et son frère est soupçonné du crime. Son mari (Munetaka Aoki) commence lui aussi à devenir froid et plein de ressentiment. Alors que l’attention médiatique commence à s’estomper, Saori réalise avec désespoir que seule sa propre action résolue peut la réunir avec sa fille.
Avec Missing (ミッシング), Keisuke Yoshida peint un sombre portrait du Japon et des médias prêts à piétiner la douleur d’une famille pour des clics.
Derrière l’histoire de disparition, il y a toute une critique de la société japonaise. Et une critique très dure de la part du réalisateur. Il s’en prend aux médias et aux citoyens en général afin de montrer le côté pervers des médias sur la vie des gens, mais surtout à quel point le jugement qu’ont les Japonais sur leurs compatriotes est violent et destructeur.
Tout d’abord, il y a la critique envers les médias traditionnels. À ce niveau, le Japon est loin d’être le seul pays à voir les médias agir ainsi. On retrouve la même chose ici, et ailleurs. Les médias traditionnels sont toujours à la recherche de l’information spectacle afin d’attirer encore et encore plus de lecteurs. Les titres sont rédigés de manière assez floue pour ne pas être un mensonge, sans réellement être vrai. Dans Missing, il y a cette recherche du plus grand nombre de « yeuteux » de la part du rédacteur en chef, alors que Sunada, le journaliste qui couvre la disparition de Miu, veut faire un vrai travail de journaliste et se concentrer sur les faits vérifiables. Évidemment, il se verra mis de côté par la direction alors que ses collègues à l’éthique parfois douteuse se verront obtenir des promotions.
Ensuite, il y a la violence en ligne que subit – surtout – Saori. Les commentaires en ligne sont d’une telle violence psychologique qu’il est éventuellement impossible que ça n’atteigne pas la femme. Encore là, ce n’est pas exclusif au Japon. Mais le Pays du soleil levant à cette particularité d’être particulièrement dur envers les citoyens qui n’agissent pas pour le mieux des autres. Ainsi, les commentaires envers Saori attaquent directement sa valeur en tant que mère. Simplement parce qu’en plus de 5 ans elle a pris 1 soirée de pause pour se détendre, elle est une mère indigne. Évidemment, elle est vue comme indigne parce qu’il est arrivé quelque chose à sa fille. Sinon, personne n’en aurait fait de cas. Non, elle ne prend pas de drogue, elle ne joue pas à des jeux d’argent. Non, elle ne couche pas à gauche et à droite. Elle a été voir 1 spectacle en laissant son propre frère garder sa fille…
Missing montre merveilleusement bien à quel point la pression sociale est forte sur chaque individu. Tu dois faire exactement ce qui est attendu de toi, sinon tu es immédiatement remis en question en tant que personne. Et la détresse psychologique que cela amène est montrée de façon ultra-efficace.
Mais si ce sentiment de détresse passe si bien à l’écran, ce n’est pas uniquement parce que le film est bien écrit et bien réalisé. Ça passe par les superbes performances des acteurs.
Trois mois se sont écoulés depuis l’enlèvement de la petite Miu et il n’y a toujours aucune trace d’elle. Alors que mère est attaquée par des haineux parce qu’elle était à un concert lorsque sa fille a disparu, Internet pointe également du doigt l’oncle de la jeune fille, qui a été le dernier à la voir. Pendant ce temps, un journaliste cherche la vérité malgré la préférence de son rédacteur pour le sensationnalisme.
Le jeu de Tomoya Nakamura dans le rôle de Sunada est tout en finesse. C’est par le non verbal qu’il réussit à rendre son personnage crédible et attachant. Il représente ce qu’on attend d’un bon être humain. Il est honnête, juste et empathique. Malheureusement, ces valeurs ne sont pas toujours les plus recherchées dans notre monde moderne. Il devient ainsi celui en qui le spectateur a pleine confiance, celui qui représente le spectateur. L’œil extérieur qui aimerait tant pouvoir aider ces pauvres parents.
Yusaki Mori, dans le rôle de Keigo, l’oncle nerveux et louche, est tout aussi efficace. Il représente un peu cet otaku typique clairement mal dans sa peau et asocial. Est-ce qu’il a quelque chose à voir dans la disparition de la fillette, ou est-il simplement un bouc émissaire pour la colère du web? Un parfait gros titre pour les médias rapaces qui aimeraient pouvoir annoncer que l’enfant a été violenté et enlevé par le frère de la mère.
Munetaka Aoki quant à lui joue très bien l’homme qui est coincé entre l’abandon, le désir de garder espoir, le nécessaire soutien à sa femme et le rôle de celui qui doit aussi garder son épouse dans la réalité encore plus cruelle que leur fille ne reviendra probablement jamais.
Et finalement, Satomi Ishihara est au sommet de son art. Rarement ai-je vu une performance aussi forte d’une actrice japonaise. Un personnage sans retenue, mais sans caricature. Elle est simplement incroyable tant dans la peine que dans la quasi-folie d’un parent qui ne sait plus quoi faire pour retrouver son enfant. Elle passe de la reconnaissance à la colère, puis à la supplication en quelques secondes. Et tout ça sonne tellement vrai que ça fait mal. On voit bien que le désespoir d’une mère fait en sorte que toutes ces règles si rigides et respectées de la bienséance japonaise peuvent complètement foutre le camp puis soudainement revenir lorsqu’on réalise qu’on a besoin de l’aide des personnes autour de nous.
Le Japon est un des pays (sinon le plus) les plus sécuritaires au monde. Ainsi, de partir de la disparition d’une petite fille de 6 ans frappe l’imaginaire.
Derrière cela, il y a surtout la violence engendrée par la population qui se permet tout lorsqu’elle est cachée derrière son écran. Comme le dit Saori, « quand est-ce que le monde est devenu aussi malade? »
Cette question, elle revient de plus en plus ici aussi. Comment a-t-on pu en venir à accepter cette violence psychologique, en tant que société? Et surtout, quand en aurons-nous assez? Qu’attendons-nous pour enfin agir?
Si Missing peut amener les gens à se questionner sur cette acceptation de la violence, ce sera déjà une grande réussite. Cela m’amène à vous inviter à prendre une ou deux respirations avant d’insulter quelqu’un, que ce soit en face à face ou derrière votre écran. Notre société n’est ira que mieux.
Missing est présenté au TJFF le 19 juin 2024.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième