« Je pense à toi constamment, mais rien ne réussit à combler le vide que j’éprouve loin de toi. »
Pour combler l’absence de sa fille de six ans vivant à Berlin, un cinéaste montréalais tient un journal filmique qui le replonge dans sa relation avec son père adoptif et son père biologique, qu’il n’a pas connu. Son journal devient aussi une réflexion sur le cinéma en revisitant le travail de cinéastes qui l’ont marqué, comme Ingmar Bergman et Wim Wenders.
Journal d’un père, de Paul-Claude Demers est une réponse poétique pour rendre supportable la séparation entre un père et son enfant.
Les pères; quand ils ne sont pas là, on dit d’eux qu’ils sont manquants; et lorsqu’ils tiennent à être présents, on les trouve tannants. La situation du père n’est pas plus simple que celle de la mère. Après tout, le procréateur/cocréateur n’aura pas eu neuf mois de proximité intensive avec son enfant; il n’aura pas un lien direct qui aura été tranché auquel le bambin voudra instinctivement se rattacher; il aura à créer un rapport de confiance, de dévouement et d’intégrité comme jamais, car c’est son image qui servira de référent dans les rapports futurs de sa progéniture.
Paul-Claude Demers qui a écrit et réalisé cet essai documentaire, démontre être pleinement conscient de l’implication que l’on doit démontrer pour entretenir un lien avec son enfant et influencer son développement de manière positive. Vouloir, c’est le premier pas dans la course. Mais, à partir de ce moment-là, c’est le marathon et on risque de pouvoir tomber. J’imagine qu’il vaille mieux attendre de savoir marcher avant de courir, mais celui qui n’est jamais tombé ne se tient pas debout; c’est à ça que je lève mon chapeau, ceux qui se relèvent et continuent la course malgré les embûches. Bref, vaut mieux faire les choses un peu de travers et reconnaître ses fautes que de ne jamais rien faire en s’en lavant les mains (il n’y a pas de médailles pour celles et ceux qui regardent le mieux).
J’admire qu’un être humain s’ouvre avec sensibilité sur sa vie, ses joies et ses traumas. En fait, je dirais que j’aspire à ce que chaque individu puisse développer les muscles de son cœur autrement qu’avec le jogging et le crossfit. Difficile de faire meilleur usage de son temps que de plonger à l’intérieur de soi pour en extirper les douleurs et les peines et les apposer sur une surface. Une toile, une feuille, de l’argile ou du bois, des murs et de la pierre; des sons, des images ou des textures; il faut trouver une manière de sortir nos démons — un peu comme une scutigère que l’on prend dans un verre pour la mettre dehors – sans les détruire et leur permettre de vivre, mais ailleurs. Toutefois, il serait impertinent de tomber dans la plainte et les railleries si l’on tient à demeurer constructif.
On dit souvent que les hommes ne parlent jamais de leurs émotions. Je dirais plutôt qu’ils le font; autrement et silencieusement, par peur de ne pas être compris et d’envenimer davantage une situation qu’ils ne maîtrisent pas. Il arrive parfois qu’on ne trouve pas les mots; s’impose alors la nécessité de construire des histoires. On fait des contes pour confier; pour essayer de sensibiliser les gens à utiliser leur empathie envers les émotions ressenties par les personnages tout en les détachant du conteur. Souvent, on le fait afin de ne pas risquer de transformer ce sentiment de compréhension en de la pitié ou tout autre réflexe dédaigneux.
Pourtant, les confessions sincères ne tombent que très rarement dans l’oreille d’un sourd (et même lui doit le percevoir, j’en suis sûr). Paul-Claude Demers met un réel effort à communiquer; et particulièrement à rejoindre l’autre. Est-ce le public, sa famille ou lui-même qui sont la cible de son documentaire? Ça, seul l’auteur le sait et cela ne constitue pas un problème en soi. Cependant, c’est lorsque le sujet du documentaire devient flou et qu’il n’y a pas de lumière qui perce le gris du brouillard pour le révéler au public avec clarté que l’on finit par se perdre dans les mêmes méandres qui accablent le narrateur.
On parle du lien du père avec sa fille au début, mais à peine 20 minutes sont passées que l’on tombe dans une énumération de souvenirs un peu plus plaintive. Un déplacement de la narrative du père à sa fille vers la relation qu’entretenait le narrateur avec son père – adoptif – à lui; ce qu’il souhaite et regrette. On passe par la convalescence et ensuite la mort de ce dernier; les regrets, les attentes perdues et les dernières confessions. Le tout défile à l’écran sous un Claire de Lune de Claude Debussy; cette musique qui reste un classique pour moi évoquant aussi la mélancolie d’un ami ou d’un parent (salut maman!) qui — sans être pour autant absent — navigue maintenant un autre cours d’eau sous le soleil de minuit et que l’on ne voit plus beaucoup.
Tout au long du documentaire, les paroles sont prononcées recto tonneau donnant une similitude à une IA, la fine ligne entre la neutralité et l’absentéisme dans la voix. Je soutiens aussi que le noir et blanc est un effet surutilisé dans l’ensemble des productions qui veulent avoir l’air plus artistique. Je me dis qu’il y a une très forte chance que ces gens aient un point en commun; celui d’être allés voir Dune : Part II au cinéma et si je me fie aux nombres, j’ai peu de chance de me tromper (ou Oppenheimer, peu importe, il y a beaucoup trop de noir et blanc). Par moment, cette dichotomie dans Journal d’un père accentue l’effet de distance entre le père et sa fille; elle est aussi très appréciée lorsque l’on montre des passages du père du narrateur. J’ai eu un petit pincement au cœur de voir apparaître les couleurs à la fin, mais pas parce que j’étais ému; plutôt je me demandais la raison de cette démonstration chromatique tardive.
Malgré tout, j’ai été sans contredit profondément touché par les propos de Monsieur Demers lorsqu’il traite de son enfance et de sa relation avec la paternité; en tant que père, mais également en tant que fils. L’auteur fait sentir qu’il saisit bien comment exprimer ses émotions et le fond est palpable; quels souvenirs sa fille aura-t-elle de lui? Cependant, certains passages auraient pu être revus de manière moins glauque. Les mentions de mort, du film de vengeance d’un père en lien avec le meurtre de sa fille et cette touche de désespoir qui me blesse, car je ne peux lui en libérer; piètre sensation que de souffrir pour une personne que l’on ne peut pas aider. Peu importe si ces images sont en concomitance avec celles du père mourant et malade; ces dernières lignes sont inquiétantes tout au plus, car le narrateur n’est pas fictif et sa peine réelle. L’art peut être le véhicule d’un cri du cœur, mais si des idées noires affligent votre esprit, par pitié n’attendez pas que la pression soit trop forte.
Cet essai de Paul-Claude Demers va un peu dans tous les sens, mais au final n’est-ce pas ce à quoi perdre ses repères ressemble? Une démonstration convaincante de la présence d’une évidente détresse qui atterre les hommes plus que l’on ne l’imagine. Pour l’auteur de Journal d’un père, cela ressemble à un loup jeté de son clan perdant sa raison d’être au sein de ce qu’il chérissait. La peur au ventre, il parcourt les lointaines contrées espérant au passage pouvoir renifler les siens; s’assurer qu’ils sont toujours en sécurité et peut-être — par sa présence — effleurer leurs narines en retour. Témoigner qu’il va bien, même s’il a de la peine de temps en temps. En tout cas, merci de nous confier ainsi votre intimité, cher monsieur Demers.
Que les esseulés se consolent dans la notion que plusieurs d’entre nous se sentent seuls, mais nous sommes rarement non accompagnés. En psychologie, on appelle ça l’aide perçue contre l’aide réelle. Beaucoup de gens ne voient pas qu’iels sont entourés, car iels n’ont pas l’attention de la personne qu’iels souhaiteraient. Néanmoins dans la plupart des cas, nous ne sommes pas abandonnés. Vous n’êtes pas seul, même si trop souvent nous l’oublions tous parfois. Quitte à pouvoir ouvrir une porte, j’espère au moins vous permettre une vue par la fenêtre. (S’il vous plaît, ceci est une métaphore. Il ne faut pas espionner les gens s’ils ne veulent pas nous laisser entrer. L’humour, ça détend l’atmosphère). Allez en paix.
Bande-annonce
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